Le vélo de voyage idéal

J’ai globalement été très content de mon vélo, mais forcément en passant des centaines d’heures assis sur sa selle je me suis demandé ce qui pourrait être mieux. La réponse n’est pas simple, car la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain : la diversité des terrains et conditions rencontrées fait qu’il est probablement impossible d’avoir un vélo qui est parfait partout. Mais y réfléchir est tout de même un exercice intéressant, et ça pourra être utile à d’autres qui voudraient partir sur un voyage du même genre que moi.

Chose importante : je n’ai que des connaissances superficielles en vélo et mécanique (et pourtant j’en savais plus que la plupart des cyclistes rencontrés…). Ma parole ne vaut donc que ce qu’elle vaut.

Conditions d’utilisation

Avant de penser vélo, il faut savoir pour quoi et par qui il sera utilisé.

Le parcours

J’ai écrit

tout un article

sur les stats de mon voyage. Ce qu’il faut retenir, c’est que sur les 6000km la moitié étaient sur goudron. Le reste était très majoritairement sur piste, allant du gravel bien roulant au truc infâme. Assez peu de sable (je me suis arrêté juste avant le secteur connu pour être plus sableux : Puna Argentine et sud de la Bolivie), mais très souvent de la tôle ondulée.

En moyenne je faisais 78km pour 900m de dénivelé par jour. Plutôt tranquille, donc. J’étais souvent avec des compagnons qui avaient un rythme un peu plus lent que moi – et lorsque j’étais seul, c’est souvent que j’avais choisi une option un peu plus difficile. Dans tous les cas, j’ai été surpris à quel point c’était plus difficile que faire du vélo en France : je ne sais pas si c’était le terrain, le vélo chargé, les conditions (le vent…) ou le mental en mode voyage au long court (c’est probablement un mélange de tout ça), mais j’étais loin de pouvoir parcourir les même distances qu’en France.

En moyenne 1260m de dénivelé pour 100km, donc assez plat. Mais ce chiffre est abaissé par les centaines de kilomètres dans la pampa (où c’est vraiment plat) ; dans les zones montagneuses, c’était souvent beaucoup plus élevé (j’ai fait jusqu’à 3000m en 70km).

Cependant, j’ai fait la partie « la plus facile » du voyage en Amérique du sud : lorsque je me suis arrêté, j’arrivais dans la Puna et en Bolivie, où j’allais atteindre des altitudes importantes (plusieurs cols à 4000m) sur des pistes de mauvaise qualité (notamment à cause du sable). Plus au nord, au Pérou et en Équateur, c’est connu pour être montagneux, jamais plat et, surtout pour l’Équateur, raide avec de mauvaise pistes rocheuses. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de parcourir tout ça, donc finalement je ne peux pas être sûr.

Le bonhomme

Je ne suis pas un très bon cycliste : je suis incapable de maintenir une vitesse élevée pendant longtemps, « j’oublie » souvent que je pédale et donc je ralentis, etc. Par contre, j’ai une bonne connaissance de moi-même et j’ai l’habitude de faire de longues journées (je préfère m’arrêter tard, entre une heure avant le coucher du soleil et le coucher du soleil). Avant de partir, en France je pouvais faire plus de 200km / jour en vélo.

Je suis incapable de faire du vélo en ayant faim (ce qui est étonnant, parce qu’en rando j’aime bien la sensation de marcher avec le ventre un peu vide). Ça a fait que je prenais beaucoup de pause. Au fur et à mesure j’ai diminué le nombre de celles-ci : sur la fin je pouvais faire 50km sans m’arrêter, ce qui était difficilement concevable au début.

Ma vitesse moyenne sur du plat goudronné sans vent est vers les 20km/h ; sur piste, plutôt de l’ordre de 15km/h même si ça dépendra énormément du revêtement. Comme le plat sans vent ça n’existe pas en Patagonie, ce sont les vitesses utopiques.

Le type de voyage(ur)

Entre cyclistes nous parlions souvent du curseur voyageur-cycliste : entre un voyageur qui roule un petit nombre de kilomètres par jour et qui prend vraiment son temps et un cycliste qui ne pense qu’à enquiller des bornes (type coureur sur la Tour Divide), où se situer ? Personnellement, je penche plutôt du côté cycliste : même si j’étais loin d’être performant, j’étais de loin celui qui étais le plus intéressé par faire du kilomètre parmi les cyclistes que j’ai rencontrés.

Ce type de voyage va avoir une incidence sur le vélo : un contemplatif peut prendre un vélo bas de gamme (j’en ai croisé plein), quelqu’un plus intéressé par la performance voudra une monture plus adaptée.

De même, le type d’itinéraire suivi va beaucoup jouer. J’aurais pu rester sur la route 40 et éviter toutes les montagnes (et j’aurais largement eu le temps d’aller en Bolivie, voir même au Pérou), mais j’ai choisi d’aller le plus possible dans les montagnes et sur les pistes.

Le vélo idéal

Maintenant que j’ai un peu abordé les conditions d’utilisation, parlons enfin vélo.

Mon vélo

Un bref résumé des caractéristiques importantes de mon vélo peut permettre de comprendre ce qui m’a amené à dire certaines choses :

  • Vélo Kona Rove ST, cadre et fourche acier, environ 11kg (je ne retrouve plus le poids exact).
  • Cassette 9-42 et mono-plateau d’abord de 40, puis de 36 : je n’ai jamais eu de problème avec le 40×42, mais en prévision de la suite je suis passé au 36 et je n’ai pas vraiment regretté. Ça me permettait finalement d’utiliser plus de vitesses sur la cassette au lieu de rapidement me retrouver sur les 42 dents.
  • Pneus 650b / 25.5″ de 47mm / 1.85″. Sur les 4500 premiers kilomètres j’avais les

    byway de WTB

    (slick au centre, légérement cramponnés sur les côtés), j’en étais ravi.
  • Cintre droit légèrement courbé


Critères généraux

Avant de rentrer dans le détail, quelques idées qu’il faut garder en tête :

  • Du matos fiable : ça va sans dire, mais autant le mettre.
  • Du matos facilement trouvable : cette nouvelle cassette 12v est vraiment top, mais est-ce que je pourrais la changer une fois au milieu de nulle-part ?
  • Attention au budget : certaines pièces doivent potentiellement être changées plusieurs fois (coucou les pneus) et peuvent coûter cher. Mes pneus Byway (livrés avec le vélo) étaient top, mais avec une durée de vie de 5000km et à 120$ la paire, ça aurait fait un budget total de 720$ pour mes 30000km…
  • Le poids est important, mais pas trop : un vélo à 10kg est bien mieux qu’un autre à 16kg, c’est sûr ; mais si avoir 1kg de plus permet d’avoir du matos plus fiable et facilement trouvable, alors il ne faut pas trop hésiter.

Dans le détail

Enfin, on rentre dans le vif du sujet ! Je suis vraiment trop verbeux…

Le type de vélo

Pour un voyage, un vélociste conseillera souvent un vélo… de voyage. Pourtant, ils sont lourds et chers (du moins, leur rapport prix/poids n’est pas bon). Maintenant que le gravel est à la mode, les fabriquants sortent pléthore de vélos performants dans leur niche (gravel, monstercross, ou même VTT). Je pense que ces vélos sont plus adaptés au voyage, même s’il faut un peu les modifier avant de partir.

Les éléments

Cadre et fourche

La première question concerne le matériau. Carbone pas forcément adapté, titane bien trop cher : en gros ça se joue entre acier et alu. L’acier est plus lourd et cher, mais a la réputation d’être plus confortable. Est-ce que le moindre confort de l’alu ne pourrait pas être contrebalancé par des roues plus grosses, qui permettraient aussi d’aller sur des pistes encore plus sableuses ? J’ai trouvé mon vélo (acier) confortable, mais c’était la première fois que j’avais des roues aussi grosses donc finalement je ne sais pas quelle part a joué l’acier dans ce confort.

On parle aussi de la solidité de l’acier et de la possibilité de le souder. J’ai bien croisé une cycliste qui avait un cadre alu cassé, mais est-ce que c’est suffisamment courant pour que ça soit pris en considération ?

Ensuite vient la géométrie. J’y connais que dalle, donc mon seul conseil c’est de ne pas prendre un cadre orienté performance. J’avais un ratio

reach to stack

de 1,56, c’était parfait.

Concernant la fourche, la suspension n’a d’intérêt que si vous prévoyez vraiment de ne faire que de la piste et du sentier tout en enchainant du kilomètre (type Tour Divide, encore une fois – et encore, pas sûr). Je n’en avais pas, et je ne pense pas que le confort supplémentaire aurait justifié le poids et la complexité en plus. Je ne parle même pas d’un vélo tout-suspendu…

Il faut aussi faire attention au dégagement pour les pneus (cf. section suivante). Plus il y a de la place, plus le vélo est polyvalent.

Avoir des points d’accroche : porte-bidons, porte-bagages, fourche. Il n’y a jamais trop de points d’accroche. Même si on ne les utilise pas tous, savoir qu’ils sont là permet de moins se poser de questions si on veut changer la bagagerie.

Roues et pneus

Là ça commence à devenir compliqué… Des roues de 29″ avec des pneus de 3″ seraient le rêve pour les pistes défoncées. Mais dès que c’est roulant, bah ce sera pas roulant.

Mes roues en 27.5″ avec pneus de 47mm étaient un bon compromis je pense. Par contre, ce type de pneu n’est pas facile à trouver en Amérique du sud : comme c’est une taille de roue VTT, les pneus sont toujours plus gros. Lorsque j’ai changé les pneus à Santiago, il a fallut attendre une semaine avant de les recevoir…

Ceci dit, si j’avais eu plus de dégagement pour les pneus, j’aurais pu mettre des pneus VTT classiques (2.2″ par exemple) : pas idéal pour la Patagonie, mais tout à fait adapté au nord de l’Argentine.

Souvent je me disais que j’aimerais avoir des pneus plus gros. Je connais au moins un itinéraire que je n’aurais pas pu faire avec ce que j’avais. Mais, rétrospectivement, au vu de la diversité des terrains rencontrés je pense que j’avais une solution très polyvalente. Les Byway, si bien gonflés, roulaient plutôt bien sur le bitume. Je n’ai pas eu de problème d’adhérence, mais si le terrain avait été plus boueux (Colombie ou Amérique centrale) ils n’auraient probablement pas fait l’affaire.

Le mieux serait probablement d’avoir des pneus d’environ 1.8″ jusqu’à Mendoza / Santiago, et de prendre un peu plus gros pour la suite. Le nord de l’Argentine et le sud de la Bolivie sont connus pour avoir des sols très meubles, donc avoir des pneus de 2.5″ parait assez logique. Le Pérou est très montagneux, donc les pneus larges peuvent rendre les longues descentes plus agréables, mais je ne sais pas s’ils impacteraient les montées.

Au niveau du cramponage je ne peux pas trop donner de conseils : j’ai aimé mes Byway slick, et personne ne comprenait comment je faisais.

Transmission

L’autre point important… J’avais une cassette 11v 11-42. Jusqu’à Santiago j’avais un plateau de 40, ce qui donnait un rapport de presque 1 : même si c’est courant pour un gravel, c’est énorme pour un vélo de voyage. Je passais souvent en force dans les montées (et au Chili ça peut être raide : le 20% n’est pas rare), mais je n’ai eu que très rarement à pousser. Par rapport aux autres cyclistes, qui avaient pourtant des rapports plus bas, je poussais beaucoup moins, donc j’imagine que ça dépend beaucoup de la personne.

En prévision de la haute altitude qui arrivait, j’ai changé le plateau pour un 36 dents. Le ratio de 0,86 était plus agréable car il me permettait de moins utiliser la plus petite vitesse. Je conseillerai donc un ratio minimal compris entre 0,6 et 0,9 selon vos préférences. Malheureusement je n’ai pas pu tester mon développement sur de très mauvaises pistes  à très haute altitude (je suis monté au maximum à 3800m), mais il est fort probable que ça aurait été un peu limite au Pérou et en Équateur.

Le problème du mono-plateau va être l’amplitude : si le ratio minimal est de 0,6, il y a de forte chance que le ratio maximal soit petit aussi. Hors, je ne voudrais pas avoir moins que 36×11 (soit un ratio de 3,2, ce qui n’est déjà pas énorme). C’est ce qui me permet de rouler confortablement jusqu’à 35km/h : ça peut paraitre beaucoup, mais sur les faux plats descendants on y est vite (et ça arrive souvent). M’arrêter de pédaler en allant plus lentement que ça serait trop frustrant. Si l’amplitude est élevée, ça veut dire qu’il y a des trous dans le développement, ce qui n’est pas forcément agréable même si ça rend la transmission assez polyvalente.

Bref, une solution serait un double-plateau. Quelque chose comme sur le

Surly BridgeClub

(dans sa version 2 plateaux) peut être sympa : 24-36 à l’avant, 11×40 à l’arrière, soit un ratio entre 0,6 et 3,2. Mais bien sûr, le double plateau ajoute de la complexité et du poids, ainsi que le risque de briser la chaine si on ne fait pas attention aux croisements…

Freins

J’avais choisi des freins à disque mécaniques, qui semblaient offrir le meilleur compromis entre freinage et fiabilité (ou plus, facilité de réparation sur le terrain). Par contre, selon les plaquettes elles peuvent s’user rapidement : la première paire à tenu jusqu’à Santiago, la seconde est déjà en fin de vie alors que je n’ai que 2000km dessus.

Les TRP Spyre sont un classique fiable et facile à régler.

Cintre

Je ne vois pas vraiment d’intérêt aux cintres routes, même avec du flare : le cintre plat offre un confort bien supérieur dans les descentes sur piste, surtout si elles sont longues (et ayant fait des descentes de plusieurs heures, je vous assure que ça peut arriver). C’est sûr qu’avoir plusieurs positions pour les mains est bien, mais finalement j’utilisais quasiment tout le temps les poignées principales.

Le cintre route est dit donner plus de confort, notamment au niveau du dos. Je n’ai eu absolument aucun souci de ce côté là. Sur mon ancien vélo j’avais parfois mal derrière l’épaule après de longue journée, là je n’avais aucune petite douleur.

Pédales

Avant de partir j’avais hésité : est-ce que les pédales auto ne seraient pas un peu dangereuses ? Finalement je n’ai absolument aucun regret de les avoir gardées. Quel plaisir de cliper son pied et de savoir qu’il est dans la position voulue et qu’il ne bougera pas… Il m’est arrivé de faire quelques kilomètres déclipé ici ou là, mais globalement j’ai beaucoup aimé avoir les pédales auto.

J’avais des pédales SPD, avec un côté plat plutôt agréable pour quand je roulais déclipé ou lorsque je roulais avec mes tongs en ville.

Si je devais racheter un vélo ?

Encore une fois, je suis très content de mon vélo et je ne regrette absolument pas mon achat. Je sais que si j’avais eu quelque chose plus orienté off-road (gros pneus, petit développement) j’aurais beaucoup râlé une fois sur le bitume. J’aurais peut-être choisi de faire encore plus de piste, mais ça aurait été au détriment de ma vitesse de progression vers le nord qui était calée sur le climat. La grosse inconnue concerne mon développement minimal : aurait-il été suffisant dans les Andes péruviennes et équatoriennes ? Certains m’ont assurés que non, mais les même m’avaient dit que je ne pourrais pas passer certains cols que j’ai franchis le cul sur la selle, donc il aurait fallut que j’aille voir par moi-même.

Ceci dit, le

Surly BridgeClub

semble pas mal. Il est lourd (une quizaine de kilos tout de même), et la version deux plateaux est clairement orientée off-road (pneus de 27.7″x2.4″), mais il est assez peu cher et semble être une monture tout à fait convaincante pour un voyage en semi-bikepacking comme le mien en Amérique du sud.

Ceci étant, mon prochain projet en Europe (dépendant grandement de l’évolution de la situation, bien sûr) est un mélange d’itinéraires de bikepacking pour la première moitié et de routes bitumées pour la seconde partie : clairement, le BridgeClub n’aurait pas été adapté, sauf à changer de pneus au milieu. Mon vélo actuel me semble donc un peu plus polyvalent.

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