Sea To Peak : à VTT à travers la France

Il y a deux ans, en 2021, je participais à la Race Accross France (RAF), une course de 2500km à vélo de route. Après cette épreuve vécue difficilement, notamment du fait du manque de sommeil et de grosses douleurs aux genoux, je ne pensais pas en refaire… Jusqu’à ce que je me réinscrive pour 2022 😀 Pour me préparer je pris part à la Race Accross Paris 1000km, où un mauvais réglage de selle ainsi qu’une obstination un peu idiote (euphémisme) me faisaient repartir avec une grosse tendinite du genou m’empêchant de faire tout sport pendant plusieurs mois (et donc pas de RAF 2022 pour moi).

A cette croisée des chemins, je décidais de m’acheter un VTT et de voir si ça me plaisait. Une GTMC plus tard je n’étais toujours pas convaincu, mais finalement j’envisageais une épreuve off-road pour 2023. La plus connue en France est la French Divide, mais je connaissais quelqu’un qui devait faire la Sea To Peak et niveau timing ça m’arrangeait un peu plus de partir en juillet plutôt qu’en août, donc je choisissais plutôt cette épreuve. Après une préparation compliquée mais incluant tout de même 1400km de VTT en Espagne, je me suis inscrit le dernier jour possible pour cette Sea To Peak 2023. J’avais tout de même de gros doutes, notamment parce que mon kilométrage 2023 ne montait qu’à 5500km (contre 11000km avant mon inscription à la RAF), mais je voulais me tester et voir un peu ce dont j’étais capable de faire.

Avant de continuer, peut-être faut-il présenter cette épreuve ainsi que son esprit… C’est donc un brevet VTT constitué d’une trace de 2100km imposée à terminer en moins de 14,5 jours. Pour ceux jouant les premières places il s’agit bel et bien d’une course, mais pour quelqu’un comme moi terminer dans les délais est déjà très bien d’où la notion de brevet. C’est une course en autonomie, donc les étapes sont libres (on dort où et quand on veut) sans support (pas le droit d’avoir des amis ou de la famille qui viennent apporter quoi que ce soit d’autre qu’un bref support moral). A noter que la Sea To Peak offre deux départs espacés de 24h (28 le samedi et 12 le dimanche) pour la même date butoir, donc ceux partant le dimanche sont ceux qui pensent être le plus rapides et voulant jouer la gagne. Il va sans dire que je pars le samedi.

Le parcours part de la pointe de Corsen, point le plus à l’ouest de la France métropolitaine, pour aller jusqu’à Saint-Véran, village le plus élevé d’Europe situé dans le Queyras. Sur l’ensemble du parcours, il y a environ 30% de (petites) routes et 70% de chemins, allant de la bonne piste de gravier au petit single technique.

On peut plus ou moins séparer l’itinéraire en trois parties :

  • Les 900 premiers kilomètres sont peu élevés et le dénivelé reste très raisonnable, même si de nombreux raidards sont présents. On traverse la Bretagne (via les Monts d’Arrées, qui avec leurs 300m de haut représentent le point culminant de cette partie), l’Anjou et le Poitou.
  • Les 740km suivants à travers le massif central sont de plus en plus difficiles physiquement et techniquement, avec de vraies montées et/ou des passages très techniques pouvant prendre beaucoup de temps. On commence par le Limousin, avant de passer par les volcans d’Auvergne via la GTMC puis l’Aubrac et enfin l’Ardèche jusqu’à la vallée du Rhône.
  • Les 400 derniers kilomètres constituent le bouquet final : après un éloignement progressif de la vallée du Rhône, le Diois puis les contreforts des massifs alpins amènent jusqu’au Queyras via des chemins parfois très techniques et du dénivelé à ne plus savoir quoi en faire.

Bref, un beau chantier, surtout pour moi et mes capacités plus que limitées en VTT. Mais alors pourquoi faire ça ? Question complexe et dont la recherche de la réponse me taraude depuis plusieurs années. A chaque fois que je termine ce genre de projet je me dis “plus jamais ça”, et pourtant chaque année je me relance dans un objectif de dépassement de moi, c’est donc qu’il y a quelque chose, quelque part, qui rend ces projets nécessaires pour moi. Finalement, j’ai depuis peu un début de réponse qui mériterait probablement une réponse dédiée, mais qui pourrait être résumé par une angoisse du temps qui passe et donc le besoin irrépressible d’occuper mon temps libre de la manière la plus intense possible pour ne pas avoir la sensation de perdre mon temps. Je prends donc l’activité qui me plaît le plus (l’itinérance, à pied ou à vélo) et je me lance des défis personnels pour me persuader que je ne perds pas mon précieux temps libre. Est-ce que c’est réellement ça ma motivation ? Je ne sais pas. Est-ce que c’est une motivation suffisante pour traverser la France à VTT le plus rapidement possible ? On va vite voir 😀

Note pour les photos : je n’avais pas d’appareil photo donc tout a été pris avec mon téléphone en format portrait. Je rajoute quelques photos prises par Fred, qui sont assez faciles à reconnaitre vu qu’elles sont en paysage.

Jour 0

Traverser la France vers le 14 juillet avec un vélo n’est pas si facile, mais finalement j’arrive à bon port grâce à un mix voiture + train la veille du départ. Je suis même là en avance, et je vais donc dans le bar le plus proche en me disant que les autres participants déjà là ne doivent pas être trop loin. Bingo ! Petite découverte des participants à ce genre d’épreuve, finalement assez différents de ceux de la RAF : pour résumer, ils sont plutôt là pour l’aventure que pour la performance pure. Ça me va très bien.

Plus tard nous rencontrons Fred, l’organisateur (bien connu dans le milieu vu qu’il organise la célèbre Gravel Tro Breizh), autour d’un petit apéro. Entre participants nous discutons de ce à quoi nous nous attendons et comparons les vélos : majorité de VTT semi-rigides, un ou deux tout-suspendus, quelques VTT rigides, et trois gravel dont les propriétaires sont de moins en moins confiants au fur et à mesure des discussions. Fred nous fait ensuite un rapide briefing qui n’apporte pas grand-chose de neuf par rapport à ce qui avait été indiqué dans les documents fournis lors de l’inscription, mais offre une sympathique mise dans le bain. Une petite pizza plus tard et tout le monde se sépare pour rejoindre son logement pour la nuit. J’avais prévu de dormir dehors, mais la météo bien bretonne me pousse à m’incruster avec Philippe, un autre participant ayant loué un logement.

Jour 1 : pointe de Corsen – Quimperlé

C’est le grand jour. Le départ doit être donné à 6h35, heure du lever de soleil (mais nous sommes en Bretagne, donc pas de soleil). Tout le monde est là quelque minutes avant et un doux parfum d’excitation et d’huile de chaîne flotte dans l’air. Les balises sont allumées, les lampes clignotent, et j’attends avec impatience que Fred donne le départ tout en savourant le plus possible ces dernières minutes avant deux semaines à ne faire que pédaler, manger ou dormir. Enfin ça y est, nous partons ! Une petite procession se met en place pour le départ sur le sentier du littoral, puis nous rejoignons la route et chacun prend son rythme.

Dans ma tête les sentiments sont complexes. Je suis ravi d’être ici, mais je sais qu’à un moment je regretterai profondément de m’être lancé là-dedans. Le but est de repousser ce moment le plus loin possible, ce que je m’attèle à faire en ne pensant pas au but final mais uniquement à aujourd’hui. Le départ se fait en douceur sur de petites routes agrémentées de passages gravel et d’averses jusqu’à la première boulangerie qui ouvre une longue série, à Landerneau. Après commencent les vraies bosses de la journée qui annoncent les monts d’Arrée à venir. A la faveur d’une grosse averse je rattrape Jérôme qui en attend la fin sous les arbres. Je m’abrite avec lui et c’est ensemble que nous franchissons les monts d’Arrée. La montée se fait progressivement sur de petites pistes, mais en haut nous passons sur les premiers singles techniques de cette Sea To Peak. Sur le moment ils m’ont l’air difficiles, mais quand j’y repense maintenant ils me semblent si courts et pas si techniques, à peine une introduction à ce qui nous attend plus tard. Je passe le reste de la journée avec Jérôme, tout en croisant très régulièrement Pierre et Damien, qui sont partis à deux, et Marie, une des 4 féminines du samedi.

En fin de journée nous nous approchons de Quimperlé. Le profil indique un chemin plat-descendant pour rentrer en ville, mais il s’agit d’un single très technique servant pour des compétitions de VTT. Je suis avec Marie à ce moment-là, et nous ne respirons pas la confiance : c’est l’heure des premiers poussages. À Quimperlé nous retrouvons d’autres participants attablés et nous nous laissons tenter. Au fur et à mesure des discussions et de la consultation de la météo (qui annonce de la pluie), nous nous convainquons mutuellement que le mieux est de dormir à l’hôtel et je finis par partager une chambre avec Jérôme. Finalement nous n’aurons roulé que jusqu’à 21h et nous avons perdu pas mal de temps à manger en ville, donc je me promet que ce n’est que pour le premier jour et que je serais plus ambitieux pour la suite.

6h30, quelques minutes avant le départ

En compagnie de Sophie (photo par Erminig/Sea To Peak)

Le grand départ est donné

Histoire de rappeler que c’est du VTT

Entre deux averses dans les monts d’Arrée

Montée finale du Ménez Kador (photo par Erminig/Sea To Peak)

Montée bis(photo par Erminig/Sea To Peak)

Jérôme fait appel aux dieux bretons (du vent et de la pluie) pour nous aider

Descente en compagnie de Jérôme(photo par Erminig/Sea To Peak)

On ne voit pas trop mais en vrai c’est un peu technique et mouillé (photo par Erminig/Sea To Peak)

Première nuit tout confort pour nos vélos aussi

Jour 2 : Quimperlé – bord de la Vilaine après Redon

J’ai du mal à être ambitieux le matin et je préfère partir après le lever du soleil, mais Jérôme partant un peu plus tôt je décide de le suivre afin d’essayer de faire une bonne journée. Heureusement, le début est un peu plus roulant que ce que nous craignions après la dernière partie de la veille, et nous atteignons assez tôt le bord de mer. C’est la dernière fois que nous la verrons, maintenant il s’agit de partir vers l’est.

Plus tard dans la journée nous avons une courte section le long d’un canal. Le repos offert est bienvenu après les petites sections techniques de la matinée qui ont été compliquées par un peu de pluie. Au moment de quitter le chemin de hâlage, nous retrouvons Pierre, qui, avec Damien, avait pris un peu d’avance hier soir mais qui est malheureusement tombé et s’est fait mal au genou. Il nous annonce qu’il pense qu’il va devoir abandonner, et s’il repart avec nous assez rapidement il se laisse détacher. C’est toujours triste de voir quelqu’un devoir quitter ce genre d’épreuve, mais assez égoïstement je me dis que quoi qu’il se passe maintenant je ne serais pas le premier à abandonner.

Nous croisons pas mal de monde aujourd’hui, et durant l’après-midi nous formons même un beau peloton de 7 personnes. Au fur et à mesure que la journée avance ce peloton perd des membres (Jérôme se sent barbouillé, certains s’arrêtent manger une pizza, etc.) et finalement nous nous retrouvons qu’à deux avec Marie pour affronter le passage le plus technique de la journée : un beau sentier de crête, au milieu de la lande et des cailloux. Le soleil bas sur l’horizon vient colorer les buis autour de nous, mais la progression n’est pas facile. Peu après, Philippe, bien meilleur techniquement que nous, nous rattrape et nous progressons jusqu’à Redon tous les trois. Ils décident de s’arrêter là, mais comme il n’est “que” 22h, que la suite est très facile au bord de la Vilaine et que je préfère rouler le soir que le matin je continue une petite heure et me pose sous le barnum d’une guinguette fermée. Un abri, des toilettes et de l’eau, on n’est pas loin du lieu parfait pour dormir (ne manque qu’une prise électrique).

On retrouve la mer pour définitivement la quitter

Avantage de la pluie : le sable est moins pire

Avec Marie dans les landes de Lanvaux

Un petit groupe s’est formé

Concertation

Petite section un peu plus technique

Le but : quitter les portions techniques avant que le soleil disparaisse

Avec Philippe et Marie

Bivouac au bord de la Vilaine

Jour 3 : bord de la Vilaine après Redon – bord de la Loire après Ancenis

Je fais une sorte de petite grasse mat’ et je ne pars qu’à 7h, longtemps après que les plus lève-tôt soient partis. Jérôme m’a déjà passé, donc je lance pour premier objectif de tenter de le rattraper. J’ai remarqué que je suis bien meilleur si je suis juste derrière quelqu’un que j’essaie de rattraper (ça marche aussi quand je suis juste devant quelqu’un : dans ce cas mon objectif est de me faire rattraper le plus tard possible). Si je suis tout seul sans un tel objectif, je me déconcentre totalement et j’oublie de pédaler pour de vrai.

Comme je m’y attendais je le rattrape à la première boulangerie, et nous continuons ensemble jusqu’au checkpoint 1. Même si nous avons un itinéraire défini à suivre et des tracker GPS remontant notre position toutes les 5 minutes, Fred a maintenu trois checkpoints pour le folklore. Nous y arrivons en cours de matinée, et comme prévu nous y perdons beaucoup plus de temps que souhaité. J’arrive à m’extraire de ce vortex dès que mon téléphone est chargé (j’ai un chargeur rapide), et m’en vais alors que Jérôme tente de faire une sieste. Je pars tranquillement en sachant qu’ils me rattraperont plus tard et j’avance ainsi seul jusqu’au Sillon de Bretagne, escarpement bordant le nord de la Loire à l’ouest de Nantes. La trace y fait plusieurs montées-descentes qui sont courtes mais intenses. En haut de la première je fais une brève pause pour manger un bout, mais moins d’un kilomètre plus tard je croise un ravitaillement surprise proposé par des gens habitant au bord du parcours. Chose rigolote, il s’agit des parents et de la sœur de Bryan Coquard, qui est à ce moment là en train de courir le tour de France. Je passe donc quelques minutes à discuter cyclisme avec eux, jusqu’à ce qu’un gros peloton me rattrape et nous repartons tous ensemble.

Au fur et à mesure le peloton se sépare et c’est à 3, avec Jérôme et Marie, que nous nous arrêtons pour un arrêt bien mérité en boulangerie. Nous repartons ensuite bien motivés pour atteindre rapidement le bac qui doit nous permettre de traverser la Loire. Sur les derniers kilomètres de route je me retrouve dans mon élément et je donne un bon rythme à notre petit groupe, ce qui nous permet de monter dans le bac une minute avant son départ et de retrouver les autres qui avaient pris un peu d’avance.

Jérôme s’attendait à pouvoir faire une bonne pause sur le ferry, prendre un café et manger un bout, mais la traversée ne prend que quelques minutes et nous ne descendons même pas de vélo. Il décide donc de faire une petite pause après alors que Marie et moi repartons directement. Nous passons la fin de journée ensemble, traversant Nantes par les bords de Loire plein de monde. Il commence à faire nuit lorsque nous attaquons un enchainement de montées-descentes sur les coteaux de la Loire, et Marie décide de s’arrêter au sommet du premier. Je continue, voulant les franchir ce soir et enchainer avec la portion toute plate sur la Loire à vélo qui suit.

Ça me fait rouler jusqu’à tard dans la nuit, mais je prends quelques kilomètres d’avance et trouve un abri parfait pour la nuit au niveau d’une zone de pic-nique. J’y croise Markus, un allemand qui avait pourtant beaucoup d’avance sur moi. Des ses propres mots, il est plus lent que nous mais il roule plus : il a fait une quasi nuit blanche la première nuit !

Quant à moi ça fait 3 jours et 650km que je roule, il est temps de faire un petit bilan personnel. Je suis très content d’être là, je n’ai eu aucun moment de démotivation, ce qui est bien une première. Mes cuisses sont un peu dures, mais ne m’empêchent pas d’avancer. En fait, tout serait parfait si ce n’était mes genoux : comme sur la RAF, ils me font très mal. Normalement j’associe ça avec le dénivelé, mais jusque là les montées sont restées très raisonnables donc je crains le pire pour la suite.

Lever de soleil brumeux

Histoire d’amour entre une galette saucisse et un cycliste (photo par Erminig/Sea To Peak)

Jérôme a une relation fusionnelle avec ce banc le temps d’une sieste

Ravitaillement surprise

Sur le bac de la Loire

Dans les coteaux de la Loire

Retour en bord de Loire

Le soleil se couche

Quelques montées-descentes de nuit avant de retrouver les bords de Loire

Jour 4 : bord de la Loire après Ancenis – Poitiers

Comme prévu Markus part beaucoup plus tôt que moi, alors qu’il fait encore bien trop nuit pour que j’ai ne serait-ce que l’idée de me lever. Plus tard, alors que le jour ne pointe que le bout de son nez, je suis réveillé par les deux premiers partis 24h après moi qui passent en discutant. Je décide d’en profiter pour me préparer doucement et y aller moi aussi.

Le début de la journée se fait toujours sur le plat des bords de Loire, ce qui aurait pu être agréable si je n’avais pas mon fessier qui commençait à avoir des velléités de grève. Heureusement une fois qu’il s’est réchauffé ça va mieux, et je peux atteindre la première boulangerie sans trop d’encombres. Peu après je rattrape Damien et c’est ensemble que nous enchainons les nombreuses montées-descentes dans les coteaux du Layon. Juste devant nous se trouve un autre participant (Clément), donc j’essaie de garder l’allure pour éventuellement le rattraper. Une fois que c’est chose faite, nous partageons quelques kilomètres ensemble avant qu’il ne reprenne de l’avance à la faveur d’une descente trop technique pour moi qu’il descend comme si demain n’existait pas.

Nous nous retrouvons à manger devant le supermarché de Thouarcé, mais Clément repart avant nous. L’après-midi la chaleur est bien présente et je commence à ressentir un certain manque de sommeil, mais malgré tout je prends un peu d’avance sur Damien. Le terrain est facile donc malgré mes difficultés – et ma première chute, toute bête – j’avance jusqu’à avoir fait environ 190km au moment où le soleil se couche. Je suis encore à une bonne trentaine de kilomètres de Poitiers, donc avec ma fatigue je pense m’arrêter là. Je fais une petite pause de 5 minutes pour laisser Marie et Damien me rattraper, mais quand ils me rejoignent c’est à peine s’ils s’arrêtent et ils me lancent “on va à Poitiers ce soir !”. Comme c’est moi qui leur avais donné cette idée hier, je ne peux même pas vraiment me plaindre, donc je me mets dans leurs roues et nous nous élançons dans la nuit.

Damien est de Poitiers et connait très bien le coin donc il nous guide efficacement dans la nuit de plus en plus noire, mais malgré tout ça me parait interminable. Finalement il est environ minuit quand nous atteignons le Checkpoint 3, situé à La Cyclerie, dans Poitiers. Nous y retrouvons plusieurs autres participants (Clément, Markus…) ainsi que Fred (l’organisateur). Je demande au propriétaire des lieux s’il a un pédalier avec des manivelles plus courtes pour tenter de sauver mes genoux, et il a ça en stock. C’est donc un peu avec 1h du mat’ que mon vélo passe sur le billard pour un changement de matériel qui, je l’espère, me permettra de voir l’arrivée car pour le moment ça semble compromis.

Nous dormons tous à même le sol, entre les vélos en vente et les nôtres (légères différences dans les états de propreté). Il est tard, donc nous nous décidons pour une grasse matinée : réveil à 7h, youhou !

Quelques difficultés bonus avec Damien

Dans les coteaux du Layon

Fin de journée dans les champs du Poitou

À fond vers Poitiers

Arrivés au checkpoint 2, La Cyclerie à Poitiers

Jour 5 : Poitiers – Razès (Limousin)

Départ aussi compliqué que prévu. Nous partons à deux avec Marie, mais Damien est juste derrière et il nous rejoindra rapidement à la première boulangerie qui nous arrêtera en chemin. La sortie de Poitiers se fait en partie sur de petits chemins techniques où je continue de m’émerveiller sur mon niveau technique : je franchis des passages que j’aurais jamais pu imaginer surmonter avant mon départ. J’imagine que j’ai acquis de l’expérience durant ces quelques jours, mais aussi que mon cerveau fatigué se pose moins de questions.

Une bonne partie de la journée est dédiée à une descente plein sud dans le Poitou. C’est probablement la section la plus facile et la moins intéressante de cette Sea To Peak. Malgré tout, mon rythme n’est pas génial, probablement à cause de la fatigue accumulée et de la chaleur. Au Dorat je dois me résoudre à m’arrêter acheter quelques anti-douleurs pour mes genoux ainsi que des chaussettes pour remplacer celles pleines de poussière que j’ai depuis le départ et qui commencent à irriter mes pieds.

Après ce petit arrêt “soin du corps” l’itinéraire s’élève petit à petit pour rentrer dans le Limousin. Sur le profil ça semblait facile comme tout, mais c’est tout même un peu longuet, surtout autour du lac de Saint-Pardoux et ses sentiers plein de racines. Le soleil se couche alors que je n’ai pas encore fini de contourner le lac, mais je décide de continuer un peu pour m’avancer sur la journée de demain que je sais difficile. Cependant, dans l’obscurité qui arrive vite sous les arbres je m’égare plusieurs fois et je perds beaucoup de temps et d’énergie. Je me couche finalement, mais je suis épuisé et je réalise que lorsque l’itinéraire est trop technique il n’est probablement pas rentable de m’obstiner jusqu’à tard dans la nuit. Mais bon, comme je me suis répété en boucle pendant ces quelques heures : “ce qui est fait n’est plus à faire”.

Dans les plaines du Poitou

Arrivé dans le Limousin

Jour 6 : Razès – plateau de Millevaches

Aujourd’hui va être un chantier. Je le sais avant même de commencer, de nombreux petits sentiers techniques nous attendent. Je n’ai guère d’appétit pour ça, mais quand il faut y aller… Je le sais, et pourtant j’arrive à être surpris. C’est dur ! Les montées se font au ralenti, les descentes à peine plus vite. Dans l’une d’entre elle mon casque se prend dans des ronces, et comme j’étais déjà pas loin de ma limite ça ne manque pas et je finis par dessus le guidon, dans les buissons d’épines. Plus de peur que de mal, mais le vélo est sur moi, et je repose sur un lit de ronces aussi piquant qu’instable. Je mets plusieurs minutes à me relever et repars prudemment, les jambes toutes éraflées et ma confiance à zéro.

Le reste de la matinée est à l’avenant. Je tombe une seconde fois, je suis lent, rien ne va. Pourtant je garde la motivation, ou plutôt je ne sombre pas dans le désespoir. Certes je ne respire pas la joie de vivre, mais je débranche le cerveau et avance kilomètre par kilomètre. Mon objectif est Bourganeuf, petite ville (2700 habitants, pour nous c’est presque une métropole) où je prévois de me prendre un vrai et bon repas en terrasse pour me remettre de tout ça. Juste à l’entrée je croise Fred en compagnie de Pierre, le participant qui a abandonné à cause d’une chute sur son genou. Il est venu avec sa compagne proposer un ravitaillement surprise. C’est vraiment la meilleure chose que je pouvais croiser pour aider mon moral, et je reste un long moment avec eux. Lorsque je commence à me dire qu’il serait bien de repartir, je vois que Marie n’est plus très loin derrière donc je reste l’attendre. Finalement je passe 1h15 à discuter (c’est à dire râler) et à remettre en état ma motivation avant de repartir avec Marie, qui a trouvé la matinée aussi difficile que moi.
L’après-midi est un petit peu plus simple, mais surtout nous confirmons qu’être deux aide beaucoup pour ces journées où rien ne semble aller comme on le voudrait. Nous continuons à monter progressivement jusqu’au dernier ravitaillement de la journée. Nous arrivons encore assez tôt, et nous trouvons face à un dilemme : vu la journée difficile que nous avons tous deux passée, Marie voudrait s’arrêter là et se reposer, par exemple dans un camping. Aurait-il été deux heures plus tard j’aurais dit oui, mais là il est quand même assez tôt donc je suis plutôt partisan de continuer un peu, surtout que la suite est plus simple. C’est ainsi que nous perdons beaucoup trop de temps à étudier nos possibilités avant de nous décider à continuer.

Au moment de partir, Christophe, un autre participant, nous a rattrapé, et il décide de nous rejoindre dès qu’il a fait ses courses. Comme il est bien meilleur que nous, nous partons devant et et avançons sur des chemins maintenant bien plus roulants que ce qu’on a eu jusque là. Mais faciles ou pas, nous sommes fatigués et lorsque à 21h nous traversons la dernière forêt de la journée nous décidons de nous arrêter là. Je n’ai fait que 100km, donc ce sera d’assez loin la journée la plus courte pour moi (tant en distance qu’en temps écoulé) mais j’ai besoin d’une nuit un peu plus longue pour repartir de zéro demain.

Ravitaillement surprise de Pierre, avec Pierre-Marie (assis) et Marie (derrière)

En haut du dernier raidard de la journée

Christophe n’est pas en tubeless…

Jour 7 : Millevaches – au dessus de Besse (Auvergne)

La nuit fut longue et relativement bonne. J’ai tout de même été réveillé plusieurs fois par mes douleurs aux genoux qui se manifestent dès que je garde une jambe légèrement pliée, ce qui arrive fréquemment vu que je dors sur le côté. Heureusement, au moment du réveil ça va mieux et c’est motivé par la perspective de retrouver la Grande Traversée du Massif Central (GTMC) que je repars.

Je me sens bien aujourd’hui, et la progression est bien plus simple que la veille. Je prends un peu d’avance sur Marie, qui me retrouve lors de mon ravitaillement à La Courtine, petit village à l’entrée d’un important camp militaire. Nous croisons aussi Pierre-Marie, qui prend son temps pour partir après y avoir dormi. Je repars avec Marie, mais au fur et à mesure je prends de l’avance. Je ne le sais pas encore, mais ce sera la dernière fois que je la verrais de cette Sea To Peak.

Je profite de mes bonnes sensations et de la facilité du terrain pour bien avancer. En début d’après-midi je commence à monter pour rejoindre la GTMC que j’ai parcourue l’année dernière. Je sais que la difficulté physique y sera un peu plus importante, mais les paysages et les chemins en valent largement la peine. L’itinéraire passe sous le Puy de Dôme puis serpente entre les volcans endormis pour se diriger vers les contreforts du Puy de Sancy. Je continue à avancer même lorsque la fatigue et la lassitude font leur apparition : les jambes sont à peu près là, autant en profiter. De toute façon je n’ai plus rien à manger et le seul ravitaillement possible est un restaurant au bord du lac Chambon. Je m’y étais déjà arrêté lors de mon dernier passage, je sais qu’il propose des choses à emporter qui devraient pouvoir m’aider à finir la soirée.

J’y arrive vers 20h30. Je sais que plusieurs participants (Jérôme, Marie, Pierre-Marie) veulent y passer la nuit, mais je décide de continuer encore un petit peu pour être sûr de pouvoir franchir le Plomb du Cantal le lendemain. Il fait rapidement nuit et ma productivité chute, mais je passe Besse (où dort Damien) et trouve un abri un peu plus haut pour passer une nuit agréable, juste dérangé par mes genoux qui semblent me faire plus mal la nuit que lorsque je fais du vélo.

Réveil difficile pour tout le monde

Grosse déception de rater ça à un jour près

Le Puy de Dôme

Sur la GTMC

Redépart après avoir croisé Fred (photo par Erminig/Sea To Peak)

Lac de Servières

La chaine des Puy

Sur les contreforts du Sancy

Lumières du soir

Jour 8 : au dessus de Besse – Argences en Aubrac

Comme hier soir j’ai encore une fois roulé assez tard, je mets le réveil un peu plus tard afin de m’assurer d’avoir mes 6h de sommeil. Jusqu’ici j’ai peu de problème de manque de sommeil et je pense avoir trouvé la durée minimale nécessaire pour que reste à peu près fonctionnel. J’ai aussi gardé un moral globalement au beau fixe, ce qui me change de la RAF où j’ai passé mon temps à questionner ma présence et à rêver d’être partout ailleurs que sur mon vélo. Je pense que ce changement est en grande partie dû à une meilleure gestion de mon sommeil, donc je tente de respecter autant que possible cette règle des 6h.

Le temps que je me prépare, je vois que Damien est parti de Besse et m’a dépassé. Je me dépêche de partir en chasse et je le rattrape un peu plus loin, et nous passons une bonne partie de la matinée plus ou moins proche l’un de l’autre. Comme toujours ça m’aide beaucoup d’être à proximité d’un autre participant.

Peu après Allanche nous passons un secteur rocheux très joli mais peu roulant et qui secoue beaucoup. Damien prend un peu d’avance sur moi et j’arrive à Murat peu après lui. Là je constate dépité que j’ai perdu mon matelas qui est normalement sanglé à mon cintre. Je remonte un peu pour voir si je viens de le perdre mais je ne trouve rien. J’en déduis que je l’ai perdu dans l’une des sections qui secouaient beaucoup. Il y a plusieurs participants derrière moi, je décide donc d’attendre en espérant que Pierre-Marie, le premier d’entre eux, le trouve et me le rapporte.

Une bonne heure (et un burger) plus tard, Pierre-Marie arrive et me demande si la sacoche était à moi. Oui ! “Ah je l’ai vue au bord du chemin mais je ne savais pas si c’était à un participant, je l’y ai laissé”. Ma déception est immense, mais heureusement il m’apprend qu’elle n’est pas si loin, à peine 500m après là où je me suis arrêté lorsque je suis remonté la première fois. J’y retourne donc, et victoire je retrouve mon matelas ! Je le refixe et rajoute une sangle rendant sa perte impossible, et repars en essayant de ne pas ressasser tout ce temps perdu.

La suite est longue et difficile : il s’agit de monter au Plomb du Cantal, d’abord par une route raide, puis une piste de qualité variable qui nécessite parfois de pousser. Une fois le col du Prat de Bouc atteint, le parcours quitte définitivement les routes et les forêts et se lance à l’assaut des alpages qui tapissent le sommet. Le poussage est parfois requis sous les yeux hébétés des vaches qui ne comprennent pas plus que moi ce que je suis venu faire dans cette galère. Au sommet la vue est magistrale, mais les difficultés sont loin d’être finies. Il faut d’abord parcourir un sentier en balcon pas vraiment fait pour le vélo qui est heureusement déserté par les randonneurs vu l’heure tardive. Plus bas je rejoins une bonne piste qui me fait descendre à toute allure, mais malheureusement le répit est de courte durée et bien trop rapidement je dois tourner sur une piste rocheuse où la descente est bien plus lente et moins rigolote.

Le soleil se couche alors que je m’approche petit à petit des gorges de la Truyère. Le profil est globalement descendant, mais entre les chemins défoncés, les petits coups de cul et la fatigue d’une nouvelle longue journée ça me semble interminable. Tout en bas, sur le barrage de Sarrans, un panneau indique que ma destination du soir n’est qu’à quelques kilomètres. Las, le parcours fait un grand détour et je suis encore loin d’être arrivé. Je passe la fin au téléphone afin de m’aider : si je prends plus de temps, le temps passe plus vite donc au final je m’estime gagnant.

A Argences-sur-Aubrac se trouve le 3ème et dernier checkpoint, où je retrouve Damien, Fred et Pierre-Marie, qui part vite à la recherche d’une machine à laver. La propriétaire du bar où se trouve le checkpoint nous propose de dormir chez elle, et c’est avec des étoiles dans les yeux que nous acceptons. Une douche ! Un vrai matelas ! Des prises ! Que de choses que je n’ai pas eu depuis plus d’une semaine, le rêve.

Matin dans le Cézallier

Piste de rêve

Compter les vaches plutôt que les kilomètres

Si seulement c’était toujours comme ça…

Mais des fois c’est plus caillouteux (mais toujours aussi beau)

En attendant mon matelas

Ça passe à vélo, mais autant pousser plutôt que de dépenser toute mon énergie

Montée finale vers le Plomb du Cantal

Le beau mais difficile sentier en balcon

Sur une portion roulante

Au début de la longue descente vers l’Aubrac

Jour 9 : Argences en Aubrac – Langogne (Lozère)

J’aurais aimé pouvoir dire que ce fut ma meilleure nuit et tout un tas de jolis mots, mais encore une fois mes genoux sont venus jouer les trouble-fêtes. Au milieu de la nuit j’en étais à penser que si au matin la douleur restait la même je n’aurais d’autre choix que d’abandonner, mais heureusement au moment où le réveil sonne ça va mieux.

Damien et moi partons donc à deux pour affronter les ronces et un passage de rivière un peu délicat. Ensuite il part devant et j’essaie de rester au contact derrière (ce sera globalement comme ça jusqu’à l’arrivée finale). Après Laguiole nous traversons les grands paysages typiques de l’Aubrac. Nous remontons aussi une partie du chemin de Saint Jacques à contre-courant. Il y a 11 ans quasiment jour pour jour c’était moi avec ce sac énorme et ces grosses chaussures…

Je retrouve rapidement Damien et Pierre-Marie à Aumont-Aubrac, où ils me disent qu’ils visent toujours Langogne pour ce soir. Je ne pense pas y aller vu que ça me ferait arriver très tard et j’envisage de dormir en chemin, mais ça ne m’empêche pas de repartir le plus rapidement possible derrière eux. Une belle grimpette sur les sommets de la Margeride m’attend, avant une longue descente avec le soleil qui se couche dans mon dos. Comme hier, malgré le profil descendant c’est long et pas si rapide que ça, mais je me rapproche petit à petit de Langogne. Le ciel est dégagé, mais je sais que des orages sont annoncés pour la nuit donc où que je dorme je dois me trouver un abri. Une famille à qui je demande de l’eau m’indique le four à pain du village, mais il y a encore au moins une demi-heure de jour donc je décide de continuer.

Au fur et à mesure ma volonté d’atteindre Langogne se raffermit et je décide de tenter de rejoindre la petite ville. J’espère y trouver un abri, mais je veux aussi rester au contact de Damien et Pierre-Marie afin de ne pas me retrouver tout seul pour les prochains jours. La descente finale au bord du lac de Naussac se fait de nuit, et la petite portion sur le rivage où il faut porter le vélo autour de gros blocs de pierres me fait regretter ma décision, mais je me rapproche de mon but. Peu avant l’arrivée, je peux admirer un feu d’artifice tiré du bas de Langogne et je sais que je ne suis plus très loin.

Arrivé en ville, j’espère croiser Damien et Pierre-Marie mais leurs balises ont du mal à se mettre à jour. Je me dirige vers le stade de la ville en imaginant y trouver un abri mais tout est fermé. Par chance, à proximité je trouve par hasard des toilettes publiques (avec prises électriques !) qui semblent parfaites. D’habitude j’évite, mais il est minuit, je suis claqué, et le département est en alerte orange pour orages cette nuit, donc ça fera bien l’affaire.

Fred hier soir nous a assuré qu’aujourd’hui serait roulant

Dans l’Aubrac

Des champs et des vaches : c’est ça l’Aubrac

Y’a des cailloux aussi (et Pierre-Marie)

Montée en Margeride

Depuis le sommet de la Margeride

Jour 10 : Langogne – bord de l’Eyrieux (Ardèche)

Avant le départ, j’attendais avec appréhension la partie ardéchoise. Sa réputation n’était pas aussi “mauvaise” que le Diois, mais connaissant le coin je m’attendais à des chemins de mauvaise qualité et du poussage en bonne quantité. Malheureusement, je n’avais pas tort… Mais avant ça, il faut partir. Je me réveille à 6h, mais dehors c’est le déluge donc j’attends un peu. Un quart d’heure plus tard ça se calme donc je me dépêche de me mettre en route pour avoir le temps de faire un crochet pour chercher une boulangerie en ville. J’y retrouve Damien, qui a eu la même idée que moi, puis nous nous lançons ensemble dans la première ascension du jour.

Dès le premier single il prend de l’avance sur moi. Déjà qu’en temps normal je ne suis pas le plus à l’aise, mais en plus le terrain est trempé et ça glisse de partout. Plus loin nous nous retrouvons pour un café au bord de la nationale, où Pierre-Marie nous rejoint. Je pars un peu avant eux, ce qui permet à Pierre-Marie de me rapporter le bidon que j’ai oublié. Un peu plus loin, je me retrouve au sol dans un single bien pentu dans de l’herbe humide. Décidément, ce sera un miracle si je termine sans rien me casser.

Après une dernière pause épicerie, où nous retrouvons Markus, il est temps de commencer les réjouissances. Ça commence par un mur de rocailles puis des chemins et singles de qualités variables où il faut rester concentré pour ne pas partir à la faute. La progression se fait donc assez lentement jusqu’à un petit sommet où Fred nous attend pour faire quelques photos. Il nous annonce que la suite va en s’empirant, ce qui n’annonce rien de bon. Un peu plus loin, alors que je vais quitter la route pour m’engager sur un chemin, Fred me redouble et me lance depuis son van “désolé pour ce qui arrive, ne me déteste pas”. Je crains le pire, et j’ai bien raison. Je passe une bonne partie de l’après-midi à pousser dans la caillasse ardéchoise, avec un court répit sur la route le long des sources de la Loire et du Gerbier de Jonc. Juste après, l’itinéraire nous fait emprunter le sentier qui coupe les lacets de la route : me revoilà en train de pousser difficilement alors que je pourrais rouler tranquillement juste à côté.

Le chantier continue jusqu’au Mézenc, points culminants de l’Ardèche (pour le sommet sud) et de la Haute-Loire (pour le sommet nord). De là c’est une descente entrecoupée de bon petits raidards (sinon ce serait trop simple) jusqu’au Fay sur Lignon. J’y retrouve Fred et Damien, et Markus nous rejoint juste après. Je me pose quelques minutes, mais je vois que le supermarché de Saint-Agrève, à 16km de là, ferme dans moins de 1h30. Vu le rythme du jour ça risque d’être tendu, mais le profil est à peu près descendant donc je décide de tenter le coup. Je pars donc en vitesse avec Markus et Damien, mais ce dernier doit nous laisser partir à cause de problèmes de selle.

Cette partie est un peu plus roulante que le reste de la journée, mais ça reste peu rapide. Je suis un peu en mode contre la montre, à calculer toutes les 5 minutes où j’en suis par rapport à l’heure de fermeture. Ça paye : nous arrivons moins de 10 minutes avant l’heure fatidique, ce qui nous permet un ravitaillement qui fait plaisir. Sur le parking nous prenons une bonne pause en compagnie de Fred avant de nous lancer sur la Dolce Via au moment où Damien nous rejoint.

La Dolce Via, c’est 70km de piste cyclable sur une ancienne voie ferrée jusqu’à la vallée du Rhône, qui est notre objectif pour ce soir. Certes il est déjà assez tard (20h30), mais je suis prêt à rouler de nuit pour atteindre ce jalon important sur la Sea To Peak. Je dois cependant m’arrêter quelques instants pour remettre un peu de pression dans mes pneus qui se trainent sur ce terrain bien plus roulant que ce qu’on a eu ces derniers jours, donc je la parcours seul, intercalé entre Damien et Pierre-Marie devant et Markus derrière.

Malgré toute ma bonne volonté, pour la première fois je ressens vraiment le manque de sommeil. Après que le soleil se fut couché, mes yeux se ferment tout seul et je n’arrive pas à rouler droit. Je tente le joker “appel à un ami” pour essayer de me garder éveillé, et ça marche plus ou moins mais je sens que ce sera difficile d’atteindre le Rhône. Pour ne rien arranger, le ciel se couvre petit à petit et vers 23h de grosses gouttes commencent à tomber. Je trouve un abri pas mal du tout, mais j’ai l’impression que ça se calme et décide de repartir. Quelques minutes plus tard, je réalise que j’aurais dû m’arrêter car la pluie s’intensifie, mais c’est trop tard, il est hors de question que je revienne sur mes pas. Je passe une guinguette quand j’entends qu’on m’appelle : Damien et Pierre-Marie y ont trouvé refuge. Je discute quelques minutes avec eux, pas sûr de la suite de ma soirée. Ils pensent y dormir, et quand le propriétaire me propose l’abri de jardin pour y passer la nuit, je craque et m’y installe. Il s’excuse du peu de confort proposé, mais je le rassure : la veille j’ai dormi dans des toilettes publiques, donc mes standards sont particulièrement bas et sa proposition se rapproche d’un palace pour moi.

Fin de nuit dans les toilettes

Markus découvre le terrain ardéchois

Y’a pas de cailloux, est-on toujours en Ardèche ?

« Bon » chemin ardéchois (photo par Erminig/Sea To Peak)

(photo par Erminig/Sea To Peak)

Depuis le Mézenc

Vue sur le plateau Ardéchois (photo par Erminig/Sea To Peak)

Vers la croix de Peccata, dernier point haut du massif central pour nous (photo par Erminig/Sea To Peak)

Damien adore le terrain

Jusqu’au bout

Jour 11 : bord de l’Eyrieux – Bonneval en Diois

Malgré les craintes du propriétaire j’ai bien dormi (si on excepte mes genoux qui m’ont forcé à prendre des anti-douleurs en pleine nuit). Sur le papier la journée d’aujourd’hui est assez simple : d’abord des faux-plats pour franchir la vallée du Rhône, puis les premiers reliefs du Diois. Je pars seul en éclaireur, mais rapidement je me rends compte que ça ne va pas top : pour la première fois depuis le départ, je n’ai pas de motivation et qu’une envie, celle d’être ailleurs que sur mon vélo. J’ai tenu 11 jours avant d’en être à ce stade, ce qui est de très loin un record pour moi, mais en attendant j’en ai marre alors même que le terrain est on ne peut plus facile. A posteriori, je pense que c’est parce qu’avant le départ je m’étais dit que si j’atteignais le Rhône c’était partie gagnée, mais maintenant que j’y suis je me rends compte qu’il reste au moins 3 jours, et probablement les trois les plus difficiles. Cumulé avec le manque de sommeil et la fatigue généralisée, ça donne un cocktail de démotivation qu’il faut que je repousse au fond de moi.

Au niveau de la première difficulté du jour (un single assez raide qui demande de parfois pousser) je me fais rattraper par Christophe. Je le pensais loin devant, mais il a aussi eu des problèmes de motivation au point de réserver des billets pour rentrer chez lui. Ce matin il s’est remobilisé, bien aidé par une conversation avec Fred, mais il a fait une grasse mat’. Il m’explique ça pendant quelques minutes avant de m’enrhumer en repartant devant à toute allure. Je ne le verrais plus jusqu’à l’arrivée, mais cette courte discussion me remonte étonnamment le moral : je réalise que je ne suis pas le seul à être fatigué mentalement, et surtout je ne semble pas être le pire. Le reste de la journée se passera beaucoup mieux pour moi, et mon mental tiendra jusqu’à l’arrivée malgré les difficultés qu’il me reste à franchir.

Après Crest, le parcours commence à s’engager dans les contreforts du Vercors. Ça commence à grimper avec de petits poussages pour pimenter le tout. À Saillans je retrouve Damien et Pierre-Marie,ce dernier ayant profité d’un magasin pour faire changer son boîtier de pédalier. De là, il y a encore une petite vingtaine de kilomètres de difficultés avant de basculer sur route jusqu’à la fin de journée. Je profite du passage à Die pour faire une longue pause ravitaillement – recharge du téléphone : entre Luc-en-diois (pas très loin d’ici, mais que je ne suis pas sûr d’atteindre à temps) et Embrun, il y a 160km et plus de 4000m de D+ sans magasin, alors que c’est la section la plus difficile du parcours.

Je franchis de nouveau quelques bosses sur de petites routes avant d’arriver à Luc-en-diois, où je croise quelques participants. Je retrouve notamment Clément (mais pas le même que précédemment), dont j’avais fait la connaissance avant le départ mais qui était devant moi depuis. Il a eu des problèmes de tendons d’achille et surtout a cassé son dérailleur, ce qui m’a permis de le rattraper. Nous décidons de partir ensemble et de s’avancer le plus possible pour la journée de demain, qui est celle qui fait peur à tout le monde depuis le départ.

Nous franchissons donc le col de Miscon, toujours sur route mais pas si facile puis descendons de l’autre côté à la recherche d’un endroit où dormir. Nous ne trouvons rien de probant dans le village de Boulc, mais un peu plus loin nous trouvons une petite forêt de pins qui fait très bien l’affaire. Malgré les quelques gouttes qui viennent faire semblant de nous déranger, nous nous installons pour la nuit, moi avec mon tapis de sol sur le sac de couchage pour le protéger des micro-averses prévues en début de nuit.

Vu sur la forêt de Saou depuis les hauteurs de Livron

Partie roulante d’un chemin du diois (photo par Erminig/Sea To Peak)

C’était une feinte, c’est jamais roulant (photo par Erminig/Sea To Peak)

De pire en pire (photo par Erminig/Sea To Peak)

Quand tu fais semblant pour la photo (photo par Erminig/Sea To Peak)

(photo par Erminig/Sea To Peak)

La photo ne montre pas à quel point je ne suis pas à l’aise (photo par Erminig/Sea To Peak)

Combien de temps avant de remttre pied à terre ? (photo par Erminig/Sea To Peak)

Discussion entre les torturés (Clément, Damien et moi) et celui responsable de cette section de la trace (photo par Erminig/Sea To Peak)

Damien et Pierre-Marie

Clément admire le Diois

Jour 12 : Bonneval en Diois – Embrun

Aujourd’hui est un grand jour : on arrive dans la section que tout le monde redoutait, où il faudra pousser le vélo tant en montée qu’en descente, où il y aura encore plus de cailloux que de dénivelé. C’est aussi le jour fatidique : c’est en fonction d’où on arrive aujourd’hui qu’on saura si on peut finir demain. Certes, j’ai deux jours d’avance sur le délai, mais j’ai quand même très envie d’en finir le plus rapidement possible, donc je me mets un peu la pression pour bien avancer aujourd’hui – comme c’est le cas pour tout le monde.

Clément et moi partons à 6h pour quelques kilomètres de route, qui se transforme en piste puis petit à petit en single de plus en plus technique. Au moins la mise en jambe est progressive, mais rapidement nous devons déjà pousser. À la faveur d’une accalmie dans la pente je remonte sur le vélo, mais plus loin un buisson vient me fouetter le visage et mon équilibre précaire se transforme en belle chute côté ravin. Heureusement je suis retenu par d’autres buissons et je m’en sors sans vrai dégât, mais ça aurait pu mal se terminer. Par contre, je sens que mon frein arrière freine moins bien. Pour le moment ça va encore, mais c’est à surveiller…
La descente est moins pire que ce que je craignais, puis nous enchainons avec quelques kilomètres de descente sur route, le bonheur. Nous passons à La Faurie, où Google Maps nous annonce une boulangerie. Lorsque nous nous retournons pour regarder où elle est censée être, nous tombons nez à nez avec un beau panneau “A vendre”. Après cette fausse joie nous repartons sur la piste qui remonte les belles gorges d’Agnielles. Sur le haut la pente se redresse, puis la piste disparait en faveur d’un single. Après une petite alternance de pistes et de sentes nous nous retrouvons devant une descente bien raide. Rapidement elle est même trop raide et nous terminons à côté des vélo, tentant de les retenir comme on peut.

Après le petit village de Montmaur arrive un bout qui fait peur sur la carte : un single qui monte “dré dans le pentu”. Une fois dessus, nous faisons semblant de rester sur les vélos pendant quelques centaines de mètres avant de jeter l’éponge et de faire toute la montée à pied. Au-delà de la pente, qui est sévère mais peut-être ok, c’est le revêtement de petits galets roulant sous les roues qui rend la progression difficile. Environ 200m de D+ plus tard nous pouvons remonter pendant un court moment sur le vélo. Je prends un peu d’avance, puis Clément me rattrape lorsque je dois recommencer à pousser et ‘annonce qu’il a cassé son dérailleur. Deux dérailleurs en deux jours, les deux fois à cause d’une branche : qui dit mieux ? Il passe un moment à tenter une réparation de fortune, et je reste avec lui pour le support moral : ce n’est pas que je ne veux pas l’aider, c’est que je n’y connais absolument rien. Damien nous rattrape et est plus constructif que moi (qui suis en train de manger à côté), ce qui permet à Clément de repartir avec un vélo qui roule à peu près tant qu’il ne change pas trop de vitesse. L’idée pour lui est maintenant de se rapprocher le plus possible de Gap pour aller y trouver un nouveau dérailleur.

Je reprends un peu d’avance lorsque nous rejoignons une piste à peu près plate, puis Clément me redouble à la faveur d’une montée où il est obligé d’aller vite à cause du développement fixe de son vélo. Je le redouble une dernière fois lorsque son dérailleur rend définitivement l’âme et lui donne rendez-vous à Saint-Véran. À sa place j’aurais eu du mal à rester motivé pour arriver au bout…

La descente est infâme : la piste est en train d’être refaite, je passe derrière un tracteur qui laboure littéralement le sol. C’est pas avec ça que ma vitesse moyenne du jour, qui plafonne à environ 8km/h, va augmenter… La suite consiste en une section vallonnée avec quelques petits coups de cul. L’itinéraire est sur une petite route, puis la quitte pour prendre une piste qui la rejoindra quelques kilomètres plus loin ; mais entre-temps, il y a un passage rocailleux nécessitant de pousser. Il fait chaud, il n’y a pas d’ombre, et on nous fait passer sur des chemins de merde sans bonne raison : que de bonnes raisons de s’énerver, et pourtant je reste calme. Ça fait partie du jeu, j’ai signé pour ça, et plutôt que de m’asseoir sur le côté en me décourageant inutilement je continue à avancer du mieux que je peux. Ça ne parait pas grand chose, mais cette faculté à repousser mes mauvais sentiments et à débrancher le cerveau pour juste avancer font partie des raisons pour lesquelles je n’ai pas eu (trop) de moment de frustration.

Comme souvent lorsque c’est un peu difficile, je passe un coup de fil. J’en profite pour mon appel quotidien avec ma sœur, auprès de qui je me “plains” que je n’aurais pas mon coca habituel. Je ne suis pas très soda, mais depuis le départ je bois un coca tous les après-midi, ça me fait du bien. Peu après avoir raccroché, je croise un couple au bord de la route : ce sont des amis de Damien que j’avais déjà croisés vers Poitiers. Ils m’offrent une part de pizza, un orangina et 10 minutes de conversation : que demander de plus ?

Juste après le parcours suit le canal de Gap pour une dizaine de kilomètres. Ce répit dans cette journée dantesque fait un bien fou tant aux jambes qu’à la tête. Bien sûr ce n’est que de courte durée, et je me retrouve rapidement à de nouveau monter. Au sommet je croise Fred, qui m’attendait pour prendre quelques photos avec le soleil de plus en plus bas et les premiers reflets du lac de Serre-Ponçon. Nous marchons ensemble quelques minutes le temps qu’il rejoigne son van et parte pour Saint-Véran, où les participants vont commencer à arriver en nombre.

Une dernière montée (raide, mais sur piste) plus tard, je bascule dans une longue descente alors que le soleil disparaît. Au fur et à mesure, je constate que mon frein arrière répond de moins en moins présent, mais pour le moment il me permet quand même d’atteindre la dernière descente, où Damien me rattrape. Il fait maintenant bien nuit, donc au moins il ne voit lorsque je termine de nouveau dans le bas-côté (pour ma défense la piste était vraiment défoncée). Comme son GPS fait des siennes, nous arrivons ensemble au bord du lac. Embrun n’est pas loin, mais il reste une belle bosse de 400m sur route à franchir. Sur le tracker nous voyons que Pierre-Marie, qui avait pas mal d’avance sur nous et s’était arrêté de l’autre côté du pont, est reparti et est juste devant nous. Nous nous lançons donc derrière lui, sur une petite route qui devrait être déserte mais qui est pleine de monde : un feu d’artifice va être tiré sur le lac et les gens sont venus le voir d’ici. Peu après les premières explosions qui résonnent de manière impressionnante, nous rejoignons Pierre-Marie, qui s’est arrêté le regarder. Il nous propose ses pizzas qu’il a ramené d’en bas, et nous partageons un moment hors du temps, à savourer de la pizza devant un feu d’artifice au bord de la route, à 23h après une journée si difficile.

Après cette parenthèse enchantée, il faut reprendre et finir cette montée. Je me sens étonnamment bien et prends un peu d’avance sur mes deux compagnons, mais au moment de basculer je réalise que mon frein arrière est définitivement en grève. Je les attends donc histoire de ne pas faire la descente seul, et c’est à trois que nous atteignons Embrun. Au premier camping que nous voyons ils décident d’aller prendre une douche et nous nous séparons : je n’ai qu’un seul objectif, dormir. Il est minuit, la journée fut longue et éprouvante. La bonne nouvelle, c’est que nous ne sommes qu’à 90 km de l’arrivée. Sauf mauvaise surprise, demain devrait être la fin. Je dors sous un arbre au bord du lac, espérant que la courte nuit qui m’attend sera suffisante pour franchir sans trop souffrir les belles bosses qui me sépare encore de Saint-Véran.

Première montée, premiers poussages

Repos : monter ça mais via une piste

Beau single non technique, le rêve

Vues sur le Dévoluy

Descente légèrement technique

Clément le chat noir

Piste de rêve

Envie de poser le vélo et monter sur le plateau de Bure

Arrivée dans l’embrunais (photo par Erminig/Sea To Peak)

Photographe personnel (merci Fred) (photo par Erminig/Sea To Peak)

Il est temps de repartir pour profiter du peu de jour qu’il reste (photo par Erminig/Sea To Peak)

Je suis aussi déséché que l’herbe

La classique pizza de bord de route

Avec en prime un spectacle sons et lumières

Jour 13 : Embrun – Saint Véran

Ça y est, c’est le final. Aujourd’hui est le 13ème jour, et normalement le dernier. Je devrais être excité et impatient, mais le réveil est difficile et je dois vraiment me forcer pour m’extraire de mon couchage. Comme d’habitude mes genoux ont râlé, mais en plus le froid m’a réveillé alors que mon compteur affiche 7° : est-ce l’humidité ou la fatigue je ne sais pas, mais mon système de couchage aurait dû largement m’éviter ça.

Comme j’ai traîné, Damien a déjà un peu d’avance ; comme toujours Pierre-Marie dort encore et partira plus tard. C’est donc tout seul que je me lance à l’assaut du col de Valbelle, qui avec ses 2400m est le point culminant du parcours. La piste est bonne et n’offre aucune difficulté technique. Heureusement, parce que c’est déjà suffisamment long comme ça. Je me sens bien et je monte tranquillement, à un rythme qui respecte mes petites jambes fatiguées. Peu après le col de la Coche, les arbres se font de plus en rares et le paysage s’ouvre sur un terrain d’alpages et de montagnes. C’est à ce moment que je réalise une chose : je vais le faire. C’est sûr que je vais terminer aujourd’hui. La montée est certes longue, mais on est loin des difficultés de la veille et plus rien ne peut m’empêcher d’atteindre Saint-Véran. J’en ai les larmes aux yeux, ce qui est quelque chose de relativement rare pour moi qui suis souvent assez stoïque à la fin de mes périples.

Malgré tout mon optimisme je ne suis pas encore arrivé. Je franchis le col sans encombre, mais de l’autre côté m’attend un dur retour à la réalité : une descente de 1400m sans frein arrière. Je commence à descendre prudemment, mais ce qui devait arriver arrive : en voulant changer de côté sur la piste, ma roue avant dérape et chasse sous mon vélo, me projetant au sol. Encore une fois j’ai de la chance, je m’en tire sans vrai dégât à part ce qui sera un beau bleu sur toute ma cuisse. Je termine la descente en roulant au pas jusqu’à atteindre la station de Risoul. J’y trouve un magasin de location/réparation où ils peuvent prendre mon vélo en urgence. Je pense que mon étrier de frein fuit, mais j’imagine qu’en faisant une purge et en remettant de l’huile je devrais pouvoir atteindre mon objectif avec un frein fonctionnel. Pas grave si ça lâche après, il faut juste que ça tienne jusqu’à la fin de journée.

J’en profite pour aller manger puis je récupère mon vélo. Avec tout ça, Pierre-Marie est passé devant et mes deux compagnons des derniers jours ont pris pas mal d’avance. Pas grave, je sais où ils seront ce soir, donc maintenant il ne tient qu’à moi de les rejoindre. La fin de la descente jusqu’à Guillestre se fait majoritairement sur route et est bien plus agréable maintenant que je peux freiner, et c’est de bon cœur que je m’enfonce dans la fournaise de la vallée.

C’est bien beau de descendre, mais maintenant il s’agit de remonter. Pour arriver à Saint-Véran il y a trois bosses à franchir qui permettent de remonter progressivement jusqu’au “village le plus haut d’Europe”. J’aimerais bien dire qu’avec l’excitation de l’arrivée mes jambes sont légères et ma progression rapide, mais il fait chaud et mon corps refuse de faire tout effort superflu, donc j’y vais vraiment à mon rythme. De toute façon je suis largement dans les temps donc autant profiter de cette fin. J’en profite pour passer quelques derniers coups de fil à celles et ceux qui m’ont tenu régulièrement compagnie à distance afin de leur faire un débrief à chaud. Je croise une dernière fois les amis de Damien qui cette fois-ci m’offrent un coca, une délicate attention qui me donne un coup de boost pour l’avant-dernière bosse, la plus raide.

Enfin ça y est, je bascule dans la vallée de Saint-Véran. Un dernier single plus tard, et me voilà au bord du torrent que je suis jusqu’à me retrouver en contrebas du village. De là il paraît si haut, la ligne d’arrivée si loin… Mais la fin sur la route se fait finalement assez vite, surtout lorsque j’entends les coups de sifflet des autres participants qui me font de grands signes depuis là-haut.

Le sprint final se fait à allure d’escargot. L’arrivée est au niveau de la dernière fontaine du village. J’ai la double chance d’arriver le jour où le plus de participants sont arrivés, mais d’être le dernier de la journée : il y a donc pas mal de monde pour m’accueillir. Je retrouve ceux avec qui j’ai roulé (Damien, Pierre-Marie, Christophe, le Clément qui n’a pas cassé son dérailleur), d’autres que je n’avais croisé qu’au départ ou certain, partis le dimanche, que je n’avais jamais vu. Il y a aussi Fred et les familles de certains, ce qui donne un joyeux groupe d’une vingtaine de personnes.

Entre prendre des nouvelles des uns et des autres, trouver où dormir, prendre une douche, et, plus important, boire des bières, je n’ai pas vraiment le temps de me poser pour prendre la mesure de ce que je viens de faire. Ce n’est pas grave : dans ma tête, j’ai digéré la fin de cette Sea To Peak ce matin, lorsque je montais au col de Valbelle. Alors je profite, et partage avec tout le monde la fin de cette belle aventure.

Premiers sommets du Queyras

Opération en urgence

Ça sent la fin, mais il faut encore monter

Conclusion

J’ai trouvé sur cette Sea To Peak tout ce que j’étais venu y chercher : une nouvelle découverte de la France à vitesse de vélo (et parfois moins vite), une recherche de mes limites, de beaux paysages, et tout ça en compagnie de personnes partageant ce même état d’esprit. A part 2h de découragement au début du 11ème jour, mon mental est resté bon du début à la fin, ce qui est une première pour moi. Je pense que j’ai réussi à utiliser toutes mes expériences passées pour arriver à vivre une aventure presque parfaite pour moi. Arriver à rouler (et pousser) 170km de VTT par jour pendant 12 jours et 12 heures en restant motivé et content d’être là, ça veut dire que j’ai réussi à trouver le bon état d’esprit et les bonnes pratiques pour toucher à la quintessence du vélo longue distance.

Je parle de “bonnes pratiques” et de mes expériences passées car quel que soit son mental, on peut rapidement le mettre à mal avec de petites erreurs. Ça dépend de chaque personne, mais maintenant que je me connais je sais que l’un de mes facteurs limitant, peut-être le plus important, est le sommeil. En m’assurant de dormir environ 6h par nuit et en évitant de commencer avant le lever du soleil, je me suis assuré des journées bien plus confortables que ce que j’ai pu avoir vécu.

Sur la Race Accross France je n’avais pas assez pris soin de mon sommeil et j’avais beaucoup moins bien vécu la course. Mais les différences entre les deux événements ne s’arrêtent bien sûr pas là. Si je devais les comparer, la Sea To Peak est plus difficile dans tous les aspects (terrain, météo, ravitaillement, matériel, temps nécessaire…), sauf sur un seul : terminer dans les délais. En effet, j’ai quand même eu l’impression que c’était plus facile de terminer dans les temps vu que j’ai terminé avec deux jours d’avance alors que je faisais de plus courtes journées (rendues nécessaires par la difficulté du terrain). Est-ce que ça veut dire que la RAF est plus dure ? Pas sûr, surtout lorsqu’on regarde les 50% d’abandons sur la Sea To Peak.

Mais la plus grande différence que j’ai ressentie, c’est l’ambiance. Là où sur la RAF les aspects performance et compétition étaient omniprésents, sur la Sea To Peak c’était plutôt un esprit aventure et plaisir, quelque chose où je me retrouve beaucoup plus. Plutôt que de se mettre inutilement en danger pour gratter quelques heures, la plupart des participants a joué le jeu de jouer avec leurs limites en restant à l’intérieur de celles-ci. De même, être autorisé à rouler à plusieurs change toute l’expérience. Au lieu d’être une épreuve individuelle où on ne fait que croiser de temps en temps d’autres concurrents, on peut choisir de partager pendant quelques kilomètres ou plusieurs jours. Bien sûr que ça aide : honnêtement, sans Damien et Pierre-Marie, j’aurais probablement terminé le lendemain. Certes je suis venu ici pour souffrir, mais pas tout seul.

Pour conclure sur la Sea To Peak, je dois quand même avouer que j’ai été surpris par la difficulté de certaines sections et la quantité de poussage à effectuer. Certes je suis loin d’être le plus à l’aise dans les passages techniques, mais c’était un sentiment partagé par les autres participants, notamment par ceux ayant déjà fait la French Divide. Mais malgré quelques parties qui pourraient peut-être être rendues un peu plus agréables (oui l’Ardèche c’est toi que je regarde), le parcours est globalement superbe et varié et offre une belle manière de traverser la France en passant par des coins où je ne serais pas allé de moi-même.

La monture

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