Le camping où nous étions avait un WiFi trop faiblard pour me permettre de reconfigurer mon nouveau téléphone : entre les applications, les fonds de carte et autres traces gpx, j’ai pas mal de trucs à télécharger. Notre départ est donc repoussé après une visite à l’office de tourisme, où la connexion est bien meilleure. Comme nous mangeons aussi avant de quitter Melipeuco, nous attaquons le Monkey Puzzle Trail alors que le soleil est au milieu du ciel.
Cet itinéraire est le troisième du voyage qui provient de bikepacking.com, qui s’avère être une ressource précieuse pour obtenir des parcours qui sortent des routes les plus parcourues. Il n’est long que de 230km et il est noté à 3/10 en terme de difficulté, mais le dénivelé assez conséquent (5000m) ainsi que la nature du terrain, avec pas mal de pistes en sable volcanique, me font penser que ce ne sera pas si facile que ça. Mais ces montées ne serviront qu’à mieux apprécier les volcans qui jalonnent la région, donc moi ça me va.
On commence par une longue montée dans une forêt partiellement brûlée. Il n’y a donc pas d’ombre et le départ tardif se fait sentir. Heureusement que la montée est – pour une fois – régulière, même si de temps en temps nous sommes obligés de faire de petits sprints pour tenter d’échapper à la furie de taons affamés. Nous sommes chanceux d’être seuls sur cette piste : il n’y a pas de témoins pour voir deux cyclistes suant et soufflant faisant de grands gestes contre un ennemi invisible, puis tentant d’accélérer inutilement alors que les vélos sont chargés et la pente présente. C’est comme ça que nous atteignons le col, où nous retrouvons des Araucanías qui ont élu domicile sur un plateau de sable noir. Nous prenons notre temps sur la piste qui serpente dans ce désert vegetalisé ; les paysages volcaniques, même lorsque le volcan à leur origine est invisible, sont vraiment parmi les plus photogéniques. Nous nous arrêtons pour la nuit dans la descente, au bord d’une rivière qui nous rafraîchira et decrassera. Nous devons partager ce spot avec des taons et des fourmis qui rivalisent de faim, mais sinon le coin est tranquille.
Nous terminons la descente dans la fraîcheur relative du matin avant de passer un petit col qui offre les premières vues sur le volcan Lonquimay. Nous rejoignons le village éponyme en suivant une piste cyclable qui emprunte une ancienne ligne de chemin de fer. Les aménagements cyclistes de qualité sont plus que rares par ici, donc nous savourons cette section qui a des airs de campagne française. Nous prenons une longue pause au village avant de nous lancer à l’assaut de la première grosse ascension du jour : 700m en 12km, avec la première moitié goudronnée et alternant replats et sévères coups de cul dépassant allègrement les 15%. Pour ne rien arranger, il fait très chaud – ce sera d’ailleurs notre pain quotidien pour les prochains jours, peut-être parce que nous avons quitté la fraîcheur de la patagonie du sud. La fin se fait sur une piste moins raide mais aussi moins roulante, et nos forces sont déjà bien entamées lorsque nous atteignons le sommet.
La descente est bien raide et pas si reposante que ça, ce qui nous oblige à prendre une nouvelle pause en bas. Nous sommes un petit peu ambitieux aujourd’hui et voulons grimper un dernier col, car nous espérons pouvoir avoir un bivouac de rêve au sommet. Mais pour ça, il faudra encore franchir 600m en 9km. Si le début est assez tranquille, le goudron s’arrête une fois encore à mi-chemin et nous laisse nous débattre dans une piste sableuse. Il n’y a plus d’arbre autour de nous, et la montée se termine péniblement dans un paysage de désolation volcanique. Juste à côté de nous se dresse le volcan Lonquimay, dont la dernière éruption n’a pas 20 ans. Il fait beau, chaud, et il n’y a pas de vent : les conditions sont parfaites pour dormir au niveau du col. Nous plantons les tentes sur les bords d’une coulée de lave, entourés de volcans où quelques morceaux de neige font encore de la résistance. La soirée est occupée à profiter de ce paysage d’exception : ce bivouac arrive directement dans mon top 2 des plus beaux, en concurrence directe avec le bivouac au milieu du canyon San Juan dans l’Utah.
Comme souvent, mon matelas est de nouveau crevé. Ma nuit n’est donc pas la meilleure, mais au moins je suis debout pour le lever de soleil. Tout est silencieux autour de nous alors que la lumière envahit petit à petit les volcans qui nous font face. Nous commençons la descente alors que les rayons atteignent la coulée de lave gigantesque qui occupe toute la vallée et qui a remplacé le lac qu’il y avait là. La descente est longue de 20km et assez lente : d’abord parce que nous prenons beaucoup de pauses photos, et ensuite parce que la piste est sableuse. Malgré la pente qui nous est favorable, nous arrivons en bas déjà fatigués et en sueur. De là, notre objectif de la journée est à une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau au dessus du grand lac de retenue qui occupe plusieurs vallées ; mais pour nous il s’agit de contourner plusieurs branches du lac, à chaque fois en franchissant de petits cols raides et usants.
Nous sommes toujours en territoire Mapuche, le peuple natif de la Patagonie. Lorsque le gouvernement chilien a décidé de la création de ce barrage, plusieurs villages ont dû être inondés et les populations déplacées dans de nouveaux villages surplombant le lac. Les années précédant notre passage, quelques cyclistes ont eu des difficultés à suivre l’itinéraire car il y avait des protestations et barrages routiers de la part de Mapuche contre le gouvernement. Assez égoïstement, nous sommes rassurés de voir que nous ne devrions pas avoir de problème ; mais c’est aussi un bon rappel que même les énergies dites renouvelables viennent avec leurs lots de problématiques, et que partout dans le monde les populations les plus pauvres sont les laissés pour compte du développement.
Aujourd’hui est probablement la journée qui nous fait le plus souffrir. Il fait extrêmement chaud, la piste est médiocre et les montées sont intenses. La dernière ascension se fait sur une piste de 4×4, si raide et sableuse que nous devons pousser les vélos sur 4km, durant lesquels la pente oscille entre 8 et 25%. Mon mental s’évapore avec ma transpiration, et je souffre tant au niveau des jambes que de la tête. La bascule de l’autre côté ne ramène pas la joie : la piste est extrêmement rocailleuse et c’est à peine si nous allons plus vite que dans la montée. Après un bref passage roulant et fun, nous terminons cette partie de plaisir par un sentier raide comme tout où il nous faut retenir le vélo. Le reste de nos forces est utilisé pour remonter sur un sentier à l’avenant de l’autre côté de la passerelle. Enfin, nous atteignons le village et une vrai piste. Malgré le faible kilométrage et le dénivelé pas si impressionnant, nous sommes détruits. Comme quoi tout n’est pas affaire de chiffres… Après un arrêt ravitaillement au village, nous repartons rapidement : nous savons qu’une pause trop longue nous serait fatale. Maintenant que nos muscles sont encore chauds, nous pouvons faire encore quelques kilomètres. Lorsque nous apercevons un endroit qui semble pouvoir faire l’affaire, nous ne tergiversons pas avant de nous y arrêter pour la nuit.
Aujourd’hui nous terminons le Monkey Puzzle Trail. Pour rejoindre Ralco, village qui marque la fin de l’itinéraire, nous avons simplement à suivre les rives du lac. Rien de difficile, surtout au niveau orientation ; par contre, nous avions un peu sous-estimé les petites montées-descentes qui jalonnent la piste, et c’est finalement plus fatiguant que ce que nous pensions. Les deniers kilomètres avant le village nous voient passer le barrage et retrouver la rivière et le bitume, et c’est donc à bonne vitesse que nous arrivons à Ralco.
Nous passons plusieurs heures dans le village, d’abord à manger dans un parc puis à la bibliothèque où le Wi-Fi gratuit nous aide à faire des plans pour la suite. Il semble que nous n’avons guère de choix : nous devrons faire une grosse journée de liaison dans la plaine (c’est à dire inintéressante) avant de repasser les Andes et la frontière. Comme souvent, le paysage le plus sympa est le long de la frontière : en l’occurrence, ce sera un nouveau volcan puis notre premier col à plus de 2000 du trajet. Nous quittons donc Ralco en fin d’après-midi avec une vague idée de la suite, et nous roulons jusqu’à atteindre une rivière au bord de laquelle nous nous baignons et posons le bivouac.
Hier Félix ne se sentait pas au mieux. Ce matin, le verdict tombe : il est bel et bien malade, avec soit une intoxication alimentaire soit une mauvaise eau. Vu la chaleur des derniers jours nous avons souvent puisé dans les ruisseaux que nous croisons, et notre vigilance était assez basse : nous n’avons jamais filtré l’eau… Nous décidons de faire la quarantaine de kilomètres qui nous sépare de Santa Barbara et d’aviser une fois là-bas. C’est goudronné, en descente et sans vent, donc c’est facile et en moins de deux heures nous sommes à destination. Félix trouve une pension pas très chère et choisi de rester au moins une nuit, voir si ça passe. Ma flemme me rattrape et je décide de rester aussi. Finalement je fais bien, car il s’avère que je suis moi aussi malade. Nous passerons deux jours misérables à alterner entre nos lits respectifs et les toilettes…