J46-53 : le Patagonia Beer Trail

Nous sommes le 2 janvier, il fait beau et il est temps pour nous tous de repartir. Ce n’est jamais facile de quitter un hostel, surtout un où nous nous sentions si bien. Pour ne rien arranger je suis un peu malade et je n’arrive pas à manger… Mais j’ai décidé de partir aujourd’hui et je veux m’y tenir. Nous partons tous en ordre dispersé, et c’est donc seul que je me présente à la frontière. Le côté chilien est bondé et je dois attendre 45 minutes, mais le côté argentin est direct et rapide.

Le passage de la frontière marque un changement de versant des montagnes (à moins que ce ne soit l’inverse) et donc un retour de l’aridité de la pampa. Et il fait chaud, donc l’absence d’ombre se fait vraiment ressentir. La piste est cahoteuse, et je continue lentement mon bonhomme de chemin, prenant peu de pause car mon estomac a décidé que je pouvais faire du vélo le ventre vide. À mi-chemin je me force à manger une banane, et ce sera ma seule nourriture pour 110km vallonnés… Après une dernière bonne montée (heureusement goudronnée) j’arrive au parc de Los Alerces. C’est payant (pourtant on n’est pas au Chili) et les plages sont bondées, mais les lacs lotis entre les montagnes en valent la peine. Je m’arrête à un des campings gratuits, où je retrouve Jo ainsi que deux autres couples de cyclistes allant vers le sud.







La nuit fut compliquée : hier soir je n’avais pas faim donc j’ai très peu mangé, mais le ventre vide m’a réveillé au milieu de la nuit et impossible de me rendormir à cause de fêtards qui n’iront se coucher que vers 6h. Le départ est donc lent, mais en compagnie de Jo. Aujourd’hui est notre dernière journée de vélo ensemble : demain nos chemins se sépareront pour de bon. Nous roulons donc tranquillement, même si j’ai un peu de mal à suivre. Je vais de mieux en mieux, mais je reste un peu faiblard et mon appétit n’est pas vraiment revenu.

Il fait encore grand beau, et nous avons bien chaud sur le bitume. Nos plans pour avoir de l’eau impliquent une station service qui s’avère abandonnée. C’est une mauvaise nouvelle, mais je veux en tirer profit pour faire une photo détournée avec une des pompes à essence. Il s’avère que des guêpes ont eu la même idée que moi, et je ne fais pas le fier quand je me retrouve avec un nid bourdonnant dans la main. Heureusement je fuis assez vite pour éviter leur vindicte, mais nous nous retrouvons sans eau ni photo. Plus loin se trouve le ranch où Butch Cassidy était venu se réfugier, et le musée attenant est notre espoir pour l’eau… Et il est fermé. Nous faisons un détour jusqu’à trouver une estancia où un gaucho nous rempli nos gourdes pendant qu’un chiot joue avec nous. Nous repartons donc plein d’amour et d’eau fraîche, ce qui n’est pas de trop pour passer le col devant nous. Nous pensions que ce serait le passage le plus fatiguant, mais au sommet le vent de face refait son apparition et nous frustre de la descente. La fatigue me guette et j’abandonne toute dignité, me calant dans le sillage de Jo sans jamais prendre de relais.

Il est finalement temps pour nous de nous arrêter. Nous sommes maintenant sur la route 40, axe majeur qui traverse l’Argentine du nord au sud, et cette section s’avère avoir un peu de circulation. Il est un peu plus difficile que d’habitude de trouver un endroit où dormir, surtout à cause du vent (chose rigolote : l’autocompletion de mon téléphone a proposé d’elle-même cette phrase, ce qui me fait penser que je me plains beaucoup du vent – mais il le mérite), mais finalement nous trouvons un spot presque bien en bord de rivière. Alors que je récupère des pierres pour caler ma tente, j’en retourne une et me retrouve nez à nez avec un nid de guêpe. Le deuxième de la journée, c’est quand même pas de chance !





Nous ne sommes qu’à une vingtaine de kilomètres de route fréquentée de El Bolson, que nous atteignons donc assez rapidement. Nous nous y arrêtons longuement, le temps de prendre un vrai petit dej à coup de hamburger (mon appétit revient enfin) et de nous ravitailler. Un dizaine de kilomètres plus tard, une piste anonyme quitte la route : c’est le début du Patagonia Beer Trail, une route de bikepacking qui contourne Bariloche en passant par les montagnes et la pampa. C’est l’itinéraire que j’ai décidé de suivre, alors que Jo se dirige vers Bariloche et prévoit de s’y arrêter longtemps pour prendre des cours d’espagnol. C’est donc la séparation, après presque un mois à rouler ensemble.

Le Patagonia Beer Trail est un itinéraire de 350km (disponible sur le très bon

bikepacking.com

) qui se compose de deux parties : d’abord une traversée de la pampa dans les montagnes, puis une traversée d’une autre chaîne de montagne plus proche du Colorado que de la Patagonie. Pour le moment, c’est donc un retour dans la pampa pour moi, mais heureusement les paysages montagneux et les pistes oubliées sont bien plus intéressantes que ce que j’ai pu avoir dans la Patagonie du sud.

Après être remonté sur le plateau, je le traverse en direction de Maiten sur une piste qui se dégrade petit à petit. Après le village ce n’est que tôle ondulée et gravier, donc malgré un bon vent dans le dos j’avance difficilement. Les environs sont nus et désertiques, et quand il s’agit pour moi de trouver un endroit où dormir les opportunités ne sont pas légion. Je dois passer des barbelés pour aller me réfugier derrière quelques arbres rachitiques qui marquent un cours d’eau ; c’est bien évidemment quand je suis en train de faire passer mon vélo au dessus de la clôture que le seul gaucho de la journée pointe le bout de son nez. Les gauchos sont l’équivalent des cowboys pour la Patagonie, et celui-ci est très curieux à mon sujet. Heureusement il n’a que faire de l’endroit où je dors, et insiste même pour me donner une bouteille de mousseux. Il repart (avec sa bouteille) un peu plus tard et je vais planter ma tente derrière un arbre qui donne un semblant de protection contre le vent.








La tôle ondulée est toujours là le matin suivant. Je sers les dents (sinon elles s’entrechoquent) et avance. Je suis lent et la motivation n’est pas au plus haut. Pour ne rien arranger, le petit village où je voulais refaire provision d’eau est désert, les magasins fermés. Même les chiens semblent manquer de courage pour m’aboyer dessus, ce qui est une première. Heureusement, avec un peu de persévérance je trouve le graal et quitte cahin-caha le village, les bouteilles remplies. Au fur et à mesure des nuages s’amoncellent et le vent se lève, ce qui n’arrange rien à ma motivation. L’itinéraire quitte la route principale pour suivre une pistes qui longent quelques estancias avant de se perdre dans la pampa. C’est là que je trouve un bel opinel ainsi que des traces de vélos qui ne datent que d’un jour ou deux. Je fais jouer mes talents d’amateurs d’Arsène Lupin (qui est quand même bien plus cool que Sherlock Holmes, ne nous le cachons pas) et en déduis que l’opinel était très certainement la propriété du cycliste. Il m’incombe donc maintenant de le lui rendre…

La piste passe par une ancienne station de chemin de fer. Il n’est pas tard, mais le vent a tôt fait de me convaincre que je serais probablement mieux ici qu’au milieu de nulle part. Je m’installe donc pour la nuit, et ma tranquillité sera seulement dérangée par deux policiers qui viennent faire une ronde ici (mais pourquoi ?). Ils sont très sympa, mais leur arrivée m’a bien fait peur…








Je me réveille prêt à attaquer le beau morceau qui m’attend : il s’agit de passer deux cols en utilisant des pistes ensablées et raides. L’avancée est peu rapide, et mon ratio de 40:42 n’aide pas : pour la première fois du voyage, je dois pousser le vélo sur une piste. Même la première descente est rocailleuse et lente ; heureusement, les montagnes pampesques (ou la pampa montagneuse, mais ce n’est pas assez novateur à mon goût) rendent la progression presque agréable.

La seconde descente est plus rapide et très amusante, et m’amène rapidement dans des vallées ouvertes où quelques estancias occupent des bouts d’horizon. Mais le vent de face et les cols passés ont pris leurs dûs et je suis déjà fatigué. Quand, après une soixantaine de kilomètres, je trouve l’endroit parfait pour biviouaquer, j’hésite longuement et finalement me décide à m’accorder une courte journée. Il faut que je perde l’envie de faire des journées toujours complètes et intenses : c’est une habitude prise sur le CDT, où j’avais des impératifs de temps que je n’ai pas sur ce voyage.










Le début de la journée est marqué par la descente du plateau montagneux en direction de la pleine du lac de Bariloche. Un début en descente, c’est toujours bien… quand le vent ne s’en mêle pas. Je vous passe mes réflexions peu amènes à son sujet, mais je vous laisse imaginer mon soupir de soulagement quand la piste tourne dans la forêt. J’imaginais cette partie comme une transition entre deux massifs montagneux, mais il s’avère que la plaine est finalement agréable à traverser. L’itinéraire contourne l’aéroport de Bariloche, mais c’est à peine s’il vient troubler la quiétude de la pampa ; pourtant, je ne suis qu’à quelques dizaines de kilomètres d’une ville de plus de cent milles habitants.

Je passe ensuite par la petite ville de Dina Huapi. Après m’être ravitaillé, je me fais quelques sandwichs en profitant du WiFi de l’office de tourisme. Je signale sur un groupe WhatsApp de voyageurs à vélo que j’ai trouvé un couteau, et assez rapidement on m’indique qui en est le propriétaire. Plus tard il me contacte directement, et me dit qu’il a deux jours d’avance sur moi mais qu’il compte faire une pause à San Martin, terminus du Patagonia Beer Trail. Peut-être que nous pourrons nous y croiser ? (la suite à la fin de cette épisode)

Grâce au Wi-Fi, j’apprends aussi que la météo se gâté franchement pour les deux prochains jours, avec de la neige prévue en plaine. C’est parfait, moi qui doit passer le col le plus haut depuis le départ d’Ushuaia… Je décide donc d’essayer de faire le plus de kilomètres possibles aujourd’hui, et repars plein de bonnes intentions. Au début je vole : le vent me pousse et sans effort j’avance à vive allure. Mais s’il y a une chose que j’ai apprise en patagonie, c’est qu’il ne faut pas faire confiance au vent, qui ne fait que changer de direction tant qu’il n’est pas de face. Et voilà do’c que sans crier gare je me retrouve à peiner, fatigué et démoralisé. Je décide de m’arrêter tôt, quitte à prendre un jour de repos demain pour laisser passer le mauvais temps. C’est ainsi que je me retrouve dans un camping dont il semblerait que je sois le premier client depuis les photos datant des années 2000 accrochées aux murs decrepis. Mais les propriétaires sont au petit soins avec moi, et après quelques parties de baby-foot ils m’offrent un sandwich à manger avec eux – enfin, avec le mari pendant que la femme mange dans la cuisine. Me montrant le grand ciel bleu, il m’affirme aussi qu’il ne pleuvra pas, et je suis bien tenté de le croire. Mais il me propose aussi de dormir dans une grange, « au cas où ». Le message final est plutôt brouillé et je ne sais que croire…








Il s’avère qu’il avait plutôt raison… Ah non, plutôt tort… Raison… Tort… Bref, en fin de nuit la pluie va et vient, et le matin le temps est le même : une alternance de pluie assez forte et de grandes éclaircies. Il est 9h du matin et je sens que je ronge déjà mon frein : à la faveur d’un grand moment bleu dans le ciel je quitte le camping et reprend la route. La vallée est inondée de soleil, tout fume et seuls quelques nuages accrochés aux montagnes rappellent l’averse s’il y a une heure. Soudainement une ombre le couvre, et à peine j’ai le temps de frissonner avant que je sois sous la pluie. Tout est bouché, je ne vois plus rien et la journée s’annonce être un lo’g calcaire humide et froid… Et moins d’une heure plus tard un franc soleil a refait son apparition. La météo sera aussi binaire toute la journée, me forçant à garder sous la main tenue de pluie et lunettes de soleil.

Je quitte la route et le confort du bitume pour prendre une piste qui passe le passo del Cordoba. À 1400m il n’a rien d’un monstre, mais avec ses 5km finaux à plus de 10% c’est tout de même un beau morceau. D’ailleurs je souffre un peu et dois faire une pause pour manger un bout – pause qui commence sous le soleil et fini sous la pluie. Heureusement le temps est presque dégagé au sommet et j’ai droit au panorama. Puis loin, la pluie me rejoint une fois de plus mais ne me lâche plus. La température chute brutalement et je perds presque 10° entre le sommet et la vallée (je proteste, c’est censé être l’inverse !). Histoire de finir de me mettre le moral dans les chaussettes (trempées), la dernière vingtaine de kilomètres se fait sur de la tôle ondulée : si les cyclistes avait un enfer dédié, il ressemblerait très fortement à ça.

C’est grelotant et misérable que je m’arrête acheter de quoi me remonter le moral – mon remède miracle : pain et saucisson. La tenancière me demande où je vais, et devant mon air misérable m’indique l’existence d’un hostel. Une douche chaude ? Je change de plan et me voilà campant dans un jardin, sec, réchauffé et rassasié.








La nuit fut malheureusement bruyante et donc trop courte à mon goût. Heureusement je n’ai que 40km plutôt faciles à faire jusqu’à San Martin, et c’est avant que quiconque d’autre ne soit levé que je quitte l’hostel. Le beau temps est presque revenu (modulo une averse passagère) et la piste moins mauvaise que la veille, donc j’avance bien. Peut-être que la perspective d’un bon repas à San Martin a aussi aidé, on ne saura jamais…

Je rejoins le bitume et la route 40 pour passer un dernier col et descendre tous freins desserrés. Il est 11h quand j’arrive en ville. Je pars à la recherche d’un ATM, mais ma quête est perturbée par un restaurant de burgers déjà ouvert. Avant même de savoir ce qu’il se passe, je me retrouve attablé. Quelques minutes plus tard, quelqu’un entre et me demande si je suis Guillaume. Il s’agit de Félix, le propriétaire de l’opinel, qui a vu mon vélo dans la rue et a deviné qui j’étais. Nous mangeons ensemble avant que je parte à la recherche d’un hostel avec de la place. San Martin est une destination populaire pour les argentins et seulement le troisième hostel aura de la place. Je fais mes corvées (impliquant un deuxième repas) avant de retrouver Félix autour d’un verre. Nous discutons de la suite de nos itinéraires respectifs, et voyant leurs points de concordance nous décidons de repartir ensemble le lendemain.

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