J24-30 : une classique détournée

Avec ses 500 habitants, Villa O’Higgins ne mériterait pas d’apparaître sur les cartes du Chili. Pourtant, c’est un nom que beaucoup, au Chili et ailleurs dans le monde, connaissent. En effet, c’est le terminus de la Carretera Austral (surnom de la route 7), construite sous Pinochet pour désenclaver une grande partie du sud du Chili. Grâce à ses 1200km de mauvaise route (la moitié n’est pas encore goudronnée), elle permet d’accéder à plusieurs villes qui, avant sa construction, n’étaient accessibles que via l’Argentine.

Une route en cul de sac, avec peu de circulation et louvoyant entre des montagnes englacées ? Forcément, c’est un paradis pour les cyclistes. Dur d’y passer une journée sans en croiser plusieurs peinant dans les courtes mais raides montées, ou serrant frénétiquement les freins dans les descente sur du gravel détrempé. Eh oui, on est du côté chilien des Andes, donc la météo se résume maintenant par une alternance d’averses et d’éclaircies. Ça n’arrête pas les dizaines de cyclistes qui se lancent chaque jour dans les virages de cette classique du cyclotourisme.



Cette route sera notre quotidien pour les prochaines semaines, même si nous n’allons pas la parcourir en entier. Nous repasserons du côté argentin une fois arrivés aux deux tiers du parcours, mais c’est loin, la piste difficile et la météo imprévisible : ce ne sera pas pour tout de suite. En attendant, rien ne sert de retarder notre départ de O’Higgins, surtout que nos jambes nous démangent après ces quelques jours avec peu ou pas de vélo.

Jo et moi quittons donc le village le lendemain de notre arrivée. Chris, un cycliste canadien que nous avions déjà rencontré à El Chalten et au camping avant le second bateau, est parti peu avant nous donc nous nous attendons à le recroiser d’ici peu. En effet, nous le rattrapons juste à temps pour la première pause et nous nous abritons tous les trois dans une minuscule chapelle alors que les nuages qui nous entourent commencent à libérer une pluie fine. Tout est vert et luxuriant autour de nous, et la pluie et les glaciers qui dépassent tout juste du plafond nuageux expliquent les très nombreuses rivières que nous croisons.

Après la pause, nous perdons assez rapidement Chris de vue et continuons sous la pluie intermittente. Nous voulins prendre la pause de midi à un abri, où nous retrouvons Mathieu et Katrin, un couple franco-autrichien (elle parle français). Nous repartons tous ensemble, avec pour objectif le dernier ferry de la journée. Nous avons le temps, mais le profil de la deuxième moitié de la journée est plus accidenté et quelques bonnes montées nous attendent. Comme la pluie refait son apparition, c’est à demander ce que nous faisons là ; c’est d’ailleurs probablement ce que se demandait un condor, qui passa plusieurs minutes à nous tournoyer autour de très près. Nous nous arrêtons tous plusieurs minutes, hypnotisés par ses lentes glissades et son envergure.

Nous arrivons avec plus d’une heure d’avance sur le ferry, et nous profitons de la salle d’attente pour nous sécher et manger un bout. Nous espérons qu’il y ait la même salle de l’autre côté, car elle offre un abri parfait pour la nuit. Nous embarquons sur le ferry, qui part avec 9 minutes de retard. Heureusement pour Chris, car il arrive avec 7 minutes de retard. La traversée se fait confortablement au chaud, et il nous est difficile de nous extirper de ce doux cocon. Par chance, il y a bien une salle d’attente, que nous elisons à l’unanimité comme notre hôtel pour la nuit. Plus tard, un marin vient chercher des papiers dans un bureau attenant et en profite pour nous souhaiter bonne nuit, donc nous estimons que nous ne sommes pas trop malvenus ici.

Un petit détail vient troubler ma félicité : un tout petit bobo au dessus de la cheville me fait mal quand je m’appuie sur la jambe, et il commence à prendre une tournure jaunâtre que je n’apprécie guère. Cochrane n’est pas très loin, donc il faudra que j’aille voir un médecin.








Le départ est rude : pas d’échauffement, mais une montée sèche dès le début. Il n’y a pas tant de dénivelé que ça, mais c’est irrégulier et certains passages sont impressionnants (100m à 20%…). Je bénis mon vélo léger et mon entrainement dans les Alpes, qui me font presque apprécier ce petit exercice. La descente de fait dans une forêt toujours plus luxuriante, et le reste de la journée est beaucoup plus tranquille. Nous nous retrouvons tous pour le déjeuner, puis pour le goûter qui précède la dernière montée de la journée. Celle-ci est plus courte et surtout régulière, donc elle passe beaucoup mieux. La fin est rythmée par les bruits de fusils automatiques de l’armée chilienne qui s’entraîne à proximité. C’est une ambiance étrange que de pédaler entre les montagnes et les échos de machines de guerre…

Jo et moi nous installons pour camper peu après le sommet : Cochrane est à 27km, donc demain sera presque une journée de repos.













Presque jour de repos, mais vrai jour de pluie. Nous ne traînons donc pas en route et arrivons à Cochrane en milieu de matinée. C’est une tout petite ville, mais c’est la plus grande avant Coyhaique quelques 300km plus au nord donc on peut y trouver tous les services. Nous commençons par nous installer au camping, où je prends une douche avant de me diriger vers l’hôpital. Verdict : mon bobo est bien infecté, je dois prendre des antibio et doit retourner à l’hôpital le surlendemain pour que le médecin vérifie l’évolution du truc. Ça veut dire que j’ai une bonne excuse pour prendre un jour de repos, cool.

Après une bonne journée à ne rien faire (à part finaliser et publier 5 articles sur ce blog), je retourne voir le médecin. Ce n’est pas le même, mais c’est la même infirmière et elle confirme que c’est beaucoup mieux maintenant. Ils voudraient que je prenne encore du repos, mais j’ai les jambes qui le démangent donc ils me font un papier pour que je puisse aller à l’hôpital de Chile Chico, la prochaine ville. Ça y est, c’est reparti !

Jo ayant décidé de prendre un jour de repos, nous repartons à deux. Je l’ai même convaincue de faire un détour par l’Argentine avec moi : je lui ai promis de beaux paysages et une route pas trop difficile. J’avais raison sur le premier point, mais pas sur le second… Mais nous ne le savons pas encore, et c’est plein d’optimisme qu’après quelques kilomètres nous quittons la Carretera Austral. Le détour consiste à d’abord traverser le parc national Patagonia, puis à passer en Argentine pour franchir un col de l’autre côté des montagnes. L’intérêt est de pouvoir comparer les deux versants, le côté chilien étant vert et luxuriant alors que la côté argentin est désertique et sec. Le retour sur la Carretera se fera en longeant le lac de Buenos Aires, le second plus grand lac d’Amérique du sud.

Il semblerait que le parc soit payant depuis peu, mais nous ne trouvons aucun panneau ou indication à ce sujet et décidons donc de suivre la route, qui est jalonnée de guanacos. Malheureusement, la piste se détériore rapidement et se transforme en tôle ondulée. Les dernières dizaines de kilomètres se fond lentement et nous arrivons tout tremblotant au camping. Pareil, il semblerait qu’il soit payant mais pour nous ce sera gratuit.













Le lendemain nous mettons tous nos sac derrière un des abris avant de monter en vélo au point de départ d’une randonnée. La piste est mauvaise, raide et caillouteuse, mais c’est un véritable plaisir que de rouler avec un vélo léger. Les premiers hectomètres se font en zig-zag tant la disparition des sacoches avant nous perturbe. La rando est une petite boucle bucolique d’une douzaine de kilomètre, ce qui est absolument parfait pour se dégourdir les jambes et varier un peu du vélo. Certes, les environs n’ont pas la majesté du Fitz Roy, mais la tranquilité qu’on y gagne nous fait apprécier cette petite parenthèse.

Nous mangeons une fois de retour au camping, avant de reprendre la mauvaise piste en direction de la frontière. Comme c’est une toute petite frontière (nous ne croiserons pas une seule voiture en 2h sur la piste), les formalités sont réduites au minimum. Le plus long, c’est le no man’s land de 10km entre les deux postes frontière ; mais déjà les paysages ont changé et les falaises aux accents de l’ouest américain nous en mettent plein les yeux.

Du côté argentin, un beau morceau nous attend : un col à 1500m (nous sommes à 500m), irrégulier, avec quelques passages bien raides mais aussi quelques descentes, et le tout sur du gravel pas très bon. Nous l’attaquons vers 17h, ce qui ne me dérange pas outre mesure (je me sens souvent mieux en fin d’après-midi) mais ce qui ne convient pas trop à Jo. Nous le montons lentement, et rapidement je laisse Jo souffrir en paix. Heureusement, les paysages sont à la hauteur du défi : le col est un immense plateau d’allure martienne, environné de petites mesa toutes droites sorties d’un western. Nous biviouaquons quelques kilomètres plus bas, en espérant échapper à la fraîcheur qui nous a fait quitter si rapidement le col.


















Maintenant il nous faut revenir au Chili : il s’agit donc de redescendre en direction du lac Buenos Aires / Général Carrera (noms argentin et chilien), puis de passer la frontière pour rejoindre Chile Chico. Sur le papier, c’est une étape facile ; dans les faits, une crevaison pour moi, du mauvais gravel et du vent de face nous ralentissent plus que nous le voudrions. Les paysages redeviennent plus classiques, même si quelques passages nous offrent des réminiscences des splendeurs de la veille. Dans nos esprits, aujourd’hui est une étape de jonction, donc nous avons du mal à nous motiver et la descente semble interminable. Le passage de la frontière s’avère lui aussi plus long que ce dont on a l’habitude : nos sacs sont passés au rayons X et fouillés, au cas où nous serions de dangereux contrebandiers de fruits et légumes. Il est probablement plus facile de passer la frontière chilienne avec de la cocaïne qu’avec une pomme… Mais nous sommes enfin à Chile Chico. Il est assez tôt, et à part un passage à l’hôpital pour changer mon pansement je n’ai rien de prévu, si ce n’est manger et ne rien faire. Ce sont deux activités auxquelles j’excelle dès que je suis en ville…

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