CDT : conclusion

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Ça fait maintenant deux mois que j’ai terminé le CDT. Entre les retrouvailles avec la famille, les amis et ma vie habituelle, puis ma recherche d’un nouveau boulot en parallèle de l’écriture de mon récit, c’est passé vite. Maintenant que tout est fait et que le récit est terminé, il est temps pour moi de conclure définitivement. Avant de partir, je cherchais un sentier qui soit long et qui représente un défi pour moi. En plus de ça, inspiré par le chemin de St Jacques, je voulais pouvoir rencontrer d’autres randonneurs et partager des moments avec eux. Est-ce que le CDT a répondu à mes attentes ? Est-ce que je le conseille ?

Les petits bobos

Grâce à mes expériences passées, je savais que le physique ne serait probablement pas le défi principal. Le corps a une capacité d’adaptation absolument fantastique, qu’on a tendance à oublier du fait de notre vie de sédentaire. Pour l’avoir déjà testé, je m’attendais à souffrir un peu les premiers temps avant de trouver un rythme de croisière. Si j’évitais les grosses blessures (qu’on ne peut pas toujours contrôler), mon plus gros problème serait probablement les petits bobos du quotidien, ceux qui n’empêchent pas d’avancer mais qui sont inconfortables. Comme prévu, je les ai enchaînés : d’abord des douleurs sous les pieds, puis des ampoules le premier mois ; ensuite des problèmes de frottements, et enfin des inflammations des tendons d’Achille. En prenant mon temps j’aurais probablement pu en éviter certains, mais j’ai fait des choix (ne pas ralentir, continuer avec les mêmes chaussures) qui m’ont forcé à dépasser ces douleurs pour continuer. De toute façon, pour moi la randonnée implique toujours de petites misères qui font partie du charme de la marche (vu que je n’arrive pas à m’en débarrasser, autant être optimiste). On serait mieux sans, mais il faut savoir faire avec. Au delà de ça, mon corps a rapidement évolué pour me permettre d’augmenter ma cadence. Les premières journées de 32km étaient aussi fatigantes que les journées de 50km plus tard. Sur la fin, la limite était plus mentale qu’autre chose.

Le plus dur à gérer

Finalement, ce ne sont pas ces petits bobos qui sont le plus dur à gérer. Non : c’est le mental. Bien sûr, devoir faire abstraction d’une douleur persistante n’aide pas. Mais ça va plus loin. Le CDT, c’est long. J’avais déjà fait une randonnée de 38 jours (traversée des Alpes) et je savais que la lassitude et la démotivation sont les véritables obstacles du quotidien. Une randonnée trois fois plus longue était l’occasion pour moi de me découvrir plus en profondeur et de savoir ce que je peux faire. Est-ce que je suis assez fort pour continuer ? Est-ce que mon esprit est prêt à affronter ces étendues désertiques ?

Ça n’a pas toujours été facile. L’arrivée en ville était toujours un moment de soulagement, et le départ était souvent plus difficile que je l’aurais voulu. C’est l’une des raisons de mon nombre relativement élevé de zéros : comment quitter le confort de la détente en ville pour retourner sur le chemin ? Et une fois de retour sur le sentier, comment se motiver à enchaîner les kilomètres ?

Pour la première fois, j’écoutais de la musique en marchant. Surtout, j’écoutais des livres audio. Sur la fin je me suis rendu compte que ça me ralentissait beaucoup, mais ça m’a tout de même accompagné sur plus de 3500km. C’était le moyen pour moi de remplir mon cerveau, de ne pas me perdre dans des réflexions qui tournent rapidement en boucle.

Le CDT a aussi l’avantage d’être jalonné de repères. Au départ, je ne me disais pas « il me reste 5000km pour atteindre le Canada » : cette pensée m’aurait noyé dans le doute. Les objectifs étaient toujours d’échelle plus petite : la prochaine ville, le prochain point marquant. Se lancer dans un trajet de plusieurs mois fait peur, mais finalement chaque départ se faisait en direction d’un but atteignable en quelques jours. C’était probablement la chose la plus efficace pour me motiver, en compagnie du défi journalier que représentait mon rythme de marche.

Mental et vitesse de progression

Le CDT avait l’avantage d’avoir une limite de temps. Dès le début, nous savions que nous devions faire des journées correctes pour finir le CDT dans de bonnes conditions. C’est un petit peu contre-intuitif : il faut aller vite pour pouvoir en profiter. Aller trop lentement, c’est prendre le risque de terminer le CDT en catastrophe, sous la neige et loin de tout (Glacier NP et les routes ferment tôt en septembre). Malgré sa longueur, ce chemin est presque une course contre le temps.

Le fait de savoir que je devais finir avant une date butoir m’a beaucoup aidé à avancer. Même si j’ai terminé largement plus tôt que ce que j’avais initialement envisagé, je me suis beaucoup servi du challenge consistant à finir à une date prévue pour me motiver. Une partie importante de mon envie d’avancer reposait dans la gestion de ma progression : j’ai 5 jours pour parcourir cette section ; ce soir je dois dormir près de cette source ; je mangerai une fois au sommet. Sans ça, il aurait été trop facile pour moi d’enchaîner les pauses et de perdre ma motivation en même temps que du temps.

Ainsi, certaines sections plutôt monotones (Great Divide Bassin, frontière Idaho/Montana dans le brouillard) étaient parcourues avec des « défis » journaliers. Il n’y a pas grand chose à voir ? Autant se pousser à aller vite, faire de longues journées pour voir de quoi on est capable. Le sport prend le dessus sur la contemplation, et les kilomètres défilent grâce à une motivation renouvelée. On prend des pauses plus courtes, mais on sait qu’on aura tout le temps voulu une fois arrivés en ville. C’est un mode de fonctionnement particulier, que beaucoup peuvent ne pas comprendre : « la rando, c’est fait pour en profiter et pour admirer les paysages, pas pour courir après un temps ». Certes. Mais sur cinq mois, il faut bien trouver quel sera son moteur. Ça peut être les paysages, ou l’envie de se poser au meilleur endroit pour profiter du coucher de soleil ; mais parfois c’est le manque d’eau, ou le besoin de ravitaillement, ou simplement l’envie d’avancer le plus vite possible.

Sur certaines sections, j’aurais pu partir avec plus de ressources et prendre plus de temps, mais ma motivation se serait probablement diluée avec le manque de défi physique. Et qu’on ne s’y trompe pas : je dis « je », mais tous ceux qui marchaient autour de moi avaient un fonctionnement similaire (peut-être parce que je marchais légèrement en avant du gros de la bulle, et les randonneurs plus contemplatifs étaient probablement derrière moi). La plupart de ceux que j’ai rencontrés avaient des objectifs similaires, et il y avait une sorte d’émulation entre nous pour s’aider à continuer et conserver un rythme correct.

La sociabilité du randonneur solitaire

Marcher en groupe était aussi l’une des meilleure manière de se motiver et l’un des gros points fort du CDT pour moi. La dimension sociale était très importante, même si je marchais souvent seul. J’ai quasiment toujours fait partie d’un groupe, et nous nous retrouvions pour les pauses, les bivouacs et en ville. Sans ça, finir le CDT aurait été plus difficile, et je n’aurais certainement pas suivi la philosophie du « continuous footsteps » (i.e. j’aurais fait comme beaucoup et fait du stop sur certaines longues portions de route). J’ai adoré ces moments de partage, les pauses en commun, les longues discussions sur ces pistes qui n’en finissaient pas. J’alternais entre ces moments et la solitude, ce qui me convenait très bien. Sur la fin, j’ai volontairement accéléré pour me retrouver seul et camper sans compagnons pour la première fois depuis plusieurs milliers de kilomètres. Finalement, la vraie solitude me manquait presque. Le CDT a cet immense avantage qu’il est très facile d’être accompagné ou seul, selon son humeur et ses choix.

Il n’y a pas de chiffres officiels, mais nous estimions entre 2 et 300 le nombre de randonneurs se lançant sur le CDT dans son entièreté cette année. Ce n’est pas énorme, et c’est encore loin des chiffres des autres grands sentiers (4000 pour le PC ou l’AT, plus d’une dizaine de milliers pour le GR20), mais ce chiffre est en progression. Une fois dilué sur le chemin, c’était assez facile de passer plusieurs jours sans croiser quiconque. Pour moi, c’est le bon nombre de randonneur, le compromis entre avoir de la compagnie et ne pas être toujours entouré.

Et les paysages dans tout ça ?

Le CDT, c’est aussi une grande diversité de paysages et de chemins. Des déserts plats ou des hautes montagnes enneigées, des forêts luxuriantes ou des pierriers arides : il y a de tout. Chaque section a une identité propre, qu’on découvre au rythme lent de la marche et qu’on s’approprie peu à peu. Parfois, on se lasse rapidement ; d’autres fois, on découvre de nouvelles choses tous les jours. Tous les petits détails viennent impacter notre vision de ce qui nous entoure. Le Great Divide Bassin en pleine journée, c’est plat, sec, sans grand chose à voir ; mais le soir les couleurs s’embrasent et les couchers de soleil semblent se perdre dans cette immensité. Chacun voit ce qu’il veut et apprécie des choses différentes. Pour moi, le centre du Nouveau-Mexique était le moins intéressant, mais la frontière Idaho/Montana avait son charme ; pour Anchor, se fut exactement l’inverse. Les paysages sont loin d’être toujours impressionnants ou changeants, mais c’est au randonneur d’y trouver son bonheur.

Qu’on ne s’y trompe pas : le CDT est beau. Il y avait souvent des journées où je ne faisais que de m’arrêter pour prendre des photos et en profiter. Mais le CDT est aussi long, et certaines journées de transition était moins intéressantes. Du fait de la longueur, ces transitions pouvaient même durer quelques jours, et il faut le savoir avant de partir.

Quant à la faune, sa présence est variable. Bon, la constante sera la présence de vaches, qui sont presque des animaux sauvages vu à quel point elles ne sont pas habituées aux humains. Le Nouveau-Mexique est relativement pauvre en faune comparé aux autres Etats ; une fois les montagnes atteintes, il y a des wapitis, des orignaux, des ours… Parfois on enchaîne les journées où on croise certains de ces animaux, et parfois il y a de longues périodes sans voir quoi que ce soit.

Une difficulté toute relative

Le CDT a la réputation (surtout dans le milieu de la randonnée américaine) d’être difficile car sauvage et peu balisé. Pour un randonneur habitué aux Alpes ou aux Pyrénées, le CDT n’est pas difficile. Les principales difficultés résident uniquement dans la longueur et la logistique. Avec la montée en popularité du chemin, les ressources pour le préparer sont de plus en plus répandues et le CDT devient de plus en plus abordable. Par exemple, même si le balisage est souvent insuffisant, les cartes et applications suffisent largement à ne pas se perdre.

Le sentier est rarement technique (le chemin officiel nécessite d’employer les mains qu’une seule fois je pense) et presque jamais exposé : on est loin de la randonnée alpine. Bien sûr, mieux vaut avoir déjà une bonne expérience de la randonnée au long court avant de s’y engager ; mais à part ça, si le mental suit tout devrait aller.

Pensées finales

Le CDT ne pourra jamais lutter avec d’autres endroits plus théatralisme ou sauvages de la planète, et quiconque y vient pour y être bouche bée tous les jours sera probablement déçu. Le CDT, c’est autre chose. C’est un parcours « imposé » (car suivant la ligne de partage des eaux) qui propose une autre manière de découvrir les Etats-Unis. Ce sont de longues pistes sans fin où on peut marcher avec des compagnons tout juste rencontrés. Les journées les plus inintéressantes peuvent se transformer en une source de bonheur infinie lorsque les lueurs du soir enflamment les montagnes. Très souvent, je me demandais pourquoi je faisais ça. C’est la quintessence du « je t’aime moi non plus ». Mais finalement, je peux dire que je l’ai aimé.

 

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2 Comments

  1. alain Monne
    22 novembre 2018

    Bonjour,
    Tout cela est passionnant. Un grand merci pour ton écriture si agréable. Je souhaiterais faire une portion du CDT sur environ 3 semaines la plus sauvage possible ( sans routes interminables, sans traversée de ville sauf nécessité de réapprovisionnement) pour retrouver l’ambiance de la SHR. Que me conseillerais tu entre Montana, Idaho, Wyoming ou Colorado ?
    Merci . Alain

    Répondre
    1. guillaume
      23 novembre 2018

      Salut,
      Vu ton cahier des charges, je dirais :
      – Colorado
      – nord du Wyoming : de South Pass à West Yellowstone par exemple, en prenant les variantes des Winds.
      – nord du Montana (Bob Marshall Wilderness, Glacier NP)

      Mais dans tous les cas, ce sera différents de la Sierra (moins alpin). A toi de voir si ça te convient 🙂

      Répondre

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