J’ai toujours plusieurs projets en tête et comme j’adore passer du temps sur les cartes, j’en ai souvent quelques-uns de tracés et prêts à l’emploi. L’avantage, c’est que lorsque la veille de mon départ pour la Suisse je dois me rendre compte à l’évidence pour la météo catastrophique qui est annoncée, je ne me retrouve pas le bec dans l’eau. Je ressors des cartons une trace faisant un tour de Corse par les montagnes qui me convient parfaitement vu que c’est un des rares coins d’Europe de l’ouest où il n’y a pas de pluie de prévue. Avec 900km et 17000m de dénivelé elle devrait m’occuper pendant quelques jours mais pas pour les 9 jours que j’ai, donc j’envisage dès le départ de rentrer en vélo par les Alpes. Je pars avec mes affaires de bivouac mais sans abri, donc j’espère vraiment que la météo ne se trompe pas trop.
Cette fois-ci j’avais décidé de me tenir le plus possible à ma trace prévisionnelle, mais des circonstances presque en dehors de mon contrôle (plus précisément une voiture un peu trop collante) m’ont fait légèrement raccourcir mon parcours. Au final ça donnera :
– Corse : 5 jours, 821km et 15300m D+
– Alpes : 2,5 jours, 350km et 9000m D+
Hier j’ai pris deux TER entre Lyon et Toulon puis le ferry pendant la nuit. Pas de cabine, donc dodo dans un recoin entre les escaliers et les toilettes : ce qui aurait pu être une nuit compliquée s’avérera finalement pas trop mal grâce à mon sommeil en retard. Ainsi, je ne suis pas trop en mauvais état lorsque je débarque à Bastia à 7h. Avant de partir je prends le temps d’un petit déjeuner dans une boulangerie sur ma route, et à 7h30 je lance officiellement mon périple corse. Le temps est couvert et les nuages accrochent les sommets, et pourtant il fait déjà 25°.
Le début est plutôt simple : il s’agit de faire le tour du cap Corse, ce qui représente la portion la plus plate de mon itinéraire. Il y a quand même quelques petites bosses qui me donnent vite chaud. Je mange dans un petit village, puis je m’arrête à Saint-Florent prendre une glace : ce n’est pas du tout mon genre, mais il fait tellement chaud… Juste après je dois traverser le désert des Agriates, dont le nom fait un peu peur alors que je pédale sous 35°.
En fin de journée j’attaque enfin le vrai dénivelé sur de petites routes désertes. Je termine par la bocca di a Battaglia : à 1100m ce n’est pas un montre, mais ses 5 derniers kilomètres à 9% me font souffrir plus que de raison. Je halète, je transpire, mais je bascule avant le coucher du soleil. Je redescends en vitesse de l’autre côté, mais je profite de croiser un habitant du petit village d’Olmi-Capella pour discuter un peu et obtenir de l’eau. Je descends encore pour aller bivouaquer au bord de la Tartagine, qui me permet un bon bain presque frais avant de me coucher.
Mes premiers villages perchés corses
Petite route tranquille. Originalité : le revêtement est très bon
La température n’est pas vraiment redescendu cette nuit et mon sac à viande en soie m’a suffit. Je commence par deux petits cols entrecoupés d’une pause petit-déjeuner avant d’attaquer la longue montée du col de Vergio. Ce n’est jamais très dur, mais ce long faux plat montant est usant tant mentalement que physiquement. Heureusement que le paysage dans les gorges est plutôt sympa malgré une circulation un peu plus présente. Il fait beau, mais le ciel est très voilé et les paysages sont brouillés : un épisode de sirocco ramène de la poussière du Sahara. La pente se redresse légèrement lorsque la route arrive dans la forêt finale, ce qui me convient bien : je préfère monter plus vite pour en finir le plus rapidement possible. Au sommet je coupe le GR20 mais je ne m’attarde pas assez pour croiser des randonneurs.
La suite de la journée est un enchainement de petits cols et de petites routes. Je m’arrête prendre une glace (encore) à Vico, où j’étudie mes possibilités de ravitaillement : il n’y a plus grand chose après, mais je n’ai pas envie d’attendre la réouverture des supérettes… Heureusement, la boulangerie réouvre au moment de mon départ et m’évite des nœuds au cerveau. Je reprends mes montées-descentes qui n’ont aucun sens ; heureusement que je suis l’auteur de cette trace, ça m’évite d’insulter une tierce personne. Pour ne rien arranger je continue ma découverte des routes corses, sur lesquelles il y a parfois plus de trous que de bitume.
Je continue ainsi jusqu’à la vallée de la Gravonna, qui me permet un nouveau bivouac au bord d’une rivière sous le village de Tavera. Je passe un long moment les jambes dans l’eau un peu plus fraiche que celle de la veille, c’est si bon…
Aiguilles de Popolasca et village de Castiglione vus depuis la descente du Croce d’Arbitro
Dans les gorges qui mènent au col de Vergio, avec un ciel embouché par les poussières
Sur les petites routes sur les flancs du Monte Cervellu
Jour 3 : Tavera – Porto Vecchio
Cette nuit il a fait un peu plus frais, ce qui n’est pas pour me déranger. Ceci dit, ce n’est dû qu’à la proximité avec la rivière et la température monte avec moi lorsque je m’élève sur les flancs de la vallée en direction du col de Scalella. Au sommet se trouve une troupe de cochons avachis. Je pose mon vélo à côté d’eux pour faire une photo puis je m’éloigne légérement pour aller voir la vue. Derrière moi j’entends un bruit : un cochon s’est subrepticement levé et est en train de se servir dans ma sacoche avant. Le paquet de cacahuètes qui me servait de petit-déj tombe au sol et bientôt c’est la cohue autour de mon vélo. Je récupère le sachet mais le mal est déjà fait, donc je laisse son contenu sur place avant de me lancer dans la descente.
Rapidement je remarque un léger problème : mon frein avant ne freine quasi plus. Il était déjà mollasson et une purge était prévue pour mon retour, mais maintenant ça ne peut plus le faire. Je continue à avancer en regardant un peu les possibilités qui s’offrent à moi : il semble que le plus simple soit de faire un détour par Porto-Vecchio pour y trouver un vélociste. Pour être sûr d’arriver à temps il ne faut pas que je traîne trop, donc je passe la journée à rouler régulièrement sans trop de grosses pauses.
Finalement j’arrive sur les hauteurs de Porto-Vecchio bien assez tôt. Heureusement, car mes plaquettes arrières commencent à couiner sérieusement et je ne peux pas aller trop vite dans la descente. Un magasin légèrement à l’extérieur de la ville me permet de faire une réparation expresse de tout ça. Ce n’est pas parfait (ils n’ont pas le matériel pour faire une vraie purge), mais ils remettent de l’huile ce qui arrange déjà bien les choses. Manifestement il y a eu une fuite…
Le magasin est sur une route très passante. Alors que je repars sur le grand bas-côté, à plus d’un mètre de la route, un choc violent m’envoie valdinguer de l’autre côté de la route. Une voiture vient de me rentrer dedans ! Le conducteur a fait un écart et m’a heurté sur le côté (heureusement pas par derrière, sinon je ne serais peut-être pas en état de vous raconter ça). Je vais bien à part une douleur à la cuisse, le vélo aussi… Et je vois la voiture fautive ré-accélérer et tourner à la première intersection. Un délit de fuite pour couronner le tout, parfait.
Je reste sur place quelques instants (forcément). La voiture a perdu son rétro, que je suis en train de récupérer lorsque je la vois revenir et s’engager sur la route. Elle avait tourné dans une impasse, donc maintenant le conducteur essaye de repartir ni vu ni connu. Pas si vite ! Je remonte sur mon vélo et les prend en chasse dans la circulation dense. Un ou deux kilomètres plus loin j’arrive enfin à les rattraper (il y a un passager avec le conducteur). Je prends en photo la plaque avant de me mettre au niveau du passager pour leur demander de s’arrêter. Dénégations du passager, qui affirme que ce n’est pas eux alors que je tiens leur rétro à la main. Finalement ils réaccélèrent et disparaissent pour de bon.
Je suis en état de choc. C’est la première fois que j’ai un accident comme ça, et clairement je suis passé à 1m prêt de terminer (au mieux) à l’hôpital. Je décide de prendre une chambre à l’hôtel plutôt que de repartir comme prévu, et d’aller porter plainte le lendemain matin.
« Merci pour les cacahuètes ! »
Première vue sur Porto-Vecchio
Jour 4 : Porto-Vecchio – Cozzano
Je quitte Porto-Vecchio vers 10h30, après avoir porté plainte et récupérer ma motivation pour quitter la fraicheur de la chambre d’hôtel. Les gendarmes ont été très bien et n’apprécient pas beaucoup plus que moi le délit de fuite. Ma cuisse est un peu douloureuse et un énorme bleu est en train d’apparaître, mais comme il n’y a rien de plus je m’estime prêt à repartir.
La journée est difficile. Je suis parti plus tard donc en pleine chaleur, et j’ai un peu de mal à retrouver la flamme (en même temps, vu les température pas sûr qu’elle soit nécessaire). Je passe le col de Bacinu que dans ma trace originelle j’aurais dû franchir dans l’autre sens avant de reprendre la même route que la veille sur une vingtaine de kilomètres. Mon tracé me faisait aller jusqu’à l’extrême sud de l’île et Bonifaccio, mais ça implique de beaucoup rouler sur les axes principaux et franchement je me sens mieux sur les petites routes désertes des montagnes.
Je m’arrête à Cozzano pour mon goûter mais je n’arrive pas à repartir. Il est pourtant tôt, à peu prêt 17h, et si je veux prendre le ferry demain soir comme prévu il faudrait que j’avance, mais le cœur n’y est pas. Je décide de m’arrêter là et de m’octroyer une nuit dans un gîte : quand ça ne veut pas, ça ne veut pas.
La soirée me permet de discuter avec pas mal de randonneurs, le gîte étant à proximité du GR20 (et étant une étape pour ceux l’abandonnant) et d’un des Mare a Mare. Je parle notamment avec une fille se plaignant d’avoir eux des bleus aux épaules mais considérant que tout ce qu’il y a dans son sac est absolument nécessaire. Si elle le dit c’est que c’est vrai…
J’ai pas mal cogité et j’ai calculé qu’en changeant légèrement la trace pour m’éviter les dernières ascensions je peux toujours avoir le ferry à Bastia en début de soirée. Je pars donc assez tôt et me lance dans une dernière traversée de l’île. Je coupe le GR20 au niveau du col de Verggio où je vois plusieurs randonneurs attardés.
Je ne roule pas très vite donc je sais que je dois limiter les pauses. Je n’ai qu’un objectif en tête : Bastia. La Corse c’est sympa, mais j’ai envie de passer à autre chose. C’est ainsi qu’en milieu d’après-midi je quitte définitivement les hauteurs pour rejoindre la route de Bastia. S’ensuivent quelques kilomètres plutôt très désagréables au milieu des voitures. Plus loin je peux faire des tours et détours pour éviter la route principale, et même si le vent n’y met pas du sien j’arrive à Bastia largement en avance.
Jour 6 : Menton – St Sauveur de Tinée
Nouvelle nuit sur le ferry. Je suis tellement fatigué que je m’endors en quelques secondes une fois que je me suis posé dans un coin, mais la nuit est quand même beaucoup trop courte à mon goût (l’arrivée étant à 6h, les haut-parleurs nous réveillent à 4h45 pour nous inviter à aller prendre un petit déjeuner). À Toulon je prends le TER pour Menton, où j’arrive vers 10h. Je tourne résolument le dos à la mer pour m’engager dans la route des Grandes Alpes. Je n’ai pas choisi le chemin le plus simple pour rentrer chez moi…
Aujourd’hui c’est une mise en bouche, mais ça fait quand même 2800m de dénivelé en 85km donc c’est clairement pas plat. Je commence par le col du Castillon qui me permet d’arriver à Sospel. Il est encore tôt mais je décide de manger et de prendre mon temps. Les maisons au bord de l’eau se rappellent à mes souvenirs de la fin de ma traversée des Alpes, il y a de ça 6 ans déjà (!). J’enchaîne avec le long col de Turini. Les commentaires sur internet affirment que la première partie est facile, mais je me porte rapidement en faux. Certes il fait chaud et je suis fatigué, mais c’est quand même loin d’être le faux-plat montant qu’on m’avait vendu et les kilomètres à 5% me semblent plus longs que de coutume. Comme il y a une cyclosportive, de nombreux cyclistes descendent et je les entends pester contre la route gravillonnée à outrance. Peu avant le col, une biche me regarde arriver en se demandant probablement pourquoi je me donne tout ce mal. Je ne sais pas non plus…
Au sommet je pourrais faire la boucle de l’Authion, mais les nuages noirs qui s’accumulent m’en dissuadent. En tout cas c’est comme ça que je me le justifie, mais si j’étais honnête je dirais simplement que je me sens trop fatigué. Du coup je ne traîne pas et descends directement jusqu’à Roquebillière, où je prends encore une pause. Allez, encore un col et c’est bon pour aujourd’hui !
En remontant le long de la Vésubie je vois des traces de crues le long de son lit. À Saint-Martin de Vésubie ce sont des scènes de dévastations : ponts détruits, maisons à moitié emportées ou ensevelies… C’est impressionnant. Les dégâts datent d’octobre mais les travaux battent encore leur plein pour reconstruire les routes. Je continue et je passe le col de la Colmiane avant de descendre en direction de la vallée de la Tinée. Elle est encaissée et il n’est pas facile de trouver un endroit pour dormir, mais je trouve quelque chose au niveau de Saint Sauveur de Tinée.
Jour 7 : St Sauveur – Serre-Chevalier
« Tiens, et si j’essayais de me faire une grosse journée ? ». Mais pourquoi j’ai eu cette idée ? En plus je n’ai pas vraiment besoin, j’ai encore deux jours donc je peux ne faire que deux cols aujourd’hui, deux demain et c’est bon…
Il est 7h du matin, je suis en train de remonter un faux-plat montant interminable (27km) et je cogite. Heureusement, bientôt c’est la fin de ce faux-plat qui attaque plus le moral que les jambes : maintenant c’est une vraie montée de 27km à 6.5% pour rejoindre la cime de la Bonette, plus haute route de France à 2800m. 54km pour passer de 500m à 2800m, ça ne rigole pas. C’est loooong. Au sommet c’est la marée de motards et de cyclo, je ne m’attarde pas et je me lance dans la descente sans frein avant (encore). À Jausiers, contre toute attente, je trouve un magasin qui peut me remettre de l’huile. Lui non plus n’a pas de quoi faire la purge complète qui est bien nécessaire, mais maintenant j’ai un frein fonctionnel, c’est déjà ça.
Après une longue pause je continue : maintenant il s’agit de passer le col de Vars. Le faux-plat du début passe beaucoup plus facilement que ce que je craignais, mais j’ai beaucoup de mal dans les 5 derniers kilomètres à 9%. Je commence définitivement à fatiguer : ça fait une semaine que je fais du vélo tout les jours avec plus de dénivelé que ce que j’ai l’habitude de faire, fallait bien que ça me rattrape à un moment.
Une fois de l’autre côté je m’engage dans une nouvelle vallée. Cette fois-ci ma cible est l’Izoard, dont le profil ressemble un peu à celui de Vars : d’abord un faux-plat montant facile puis bien trop de kilomètres à 8%. J’ai vraiment beaucoup de mal et je dois faire trois pauses alors que jusque là j’essayais de faire les montées d’un coup. Au moins, comme il est maintenant 18h je suis tranquille sur la route et je peux savourer en toute solitude les douces couleurs du soleil.
J’arrive à Briançon un peu avant 20h. Je me prends une part de pizza dans une boulangerie en train de fermer puis je me lance dans la longue remontée de la vallée de Serre-Chevalier. Les premiers kilomètres montent un peu mais ensuite c’est très tranquille et je peux pas mal m’avancer. Lorsque la route commence à enfin se redresser pour monter au Lautaret je m’en éloigne et je trouve un petit coin parfait pour le bivouac sous un pin.
Jour 8 : Serre-Chevalier – St Michel de Maurienne
Hier je me suis suffisamment avancé pour que j’envisage de prendre le train à St Michel à 10h. Bon, comme il y a le Galibier au milieu il ne faudra quand même pas que je parte trop tard parce que ça fait quand même une petite montée de 1000m. L’avantage, c’est qu’il n’y a personne sur la route du Lautaret, qui est quand même un très joli coin quand il n’y a pas de circulation.
Il me faut une petite heure pour atteindre le col, où je fais une petite pause (décidément) avant de m’engager dans le Galibier. Le ciel est couvert et il ne fait pas chaud, mais je suis toujours aussi seul lorsque j’arrive au sommet. J’y retrouve le soleil et je me lance dans la descente finale… Enfin presque, parce qu’au milieu il y a le col du Télégraphe. Il n’est pas bien méchant (4km et 150m de D+) mais il me coupe dans mon élan. Ça ne m’empêche pas d’arriver à St Michel largement en avance. Ça y est, il est l’heure de rentrer…
Bilan
La Corse c’est plutôt sympa (quand on ne se fait pas rentrer dedans) : plein de petites routes désertes, des cols à foison, de beaux bivouacs au bord de rivières fraîches pile comme il faut… Mais pour être honnête, j’ai préféré les Alpes. Certes, il y a plus de circulation, mais les paysages sont tellement majestueux que ça en vaut la peine. D’ailleurs, j’adore le vélo mais c’est vrai que la rando à pied permet quand même de voir plus de choses sympas et de s’immerger pour de vrai. Le vélo permet d’aller plus vite, mais c’est clairement quelque chose que je fais plus pour le sport que pour la contemplation que permet la rando (même la rando d’un bon pas).
Je suis aussi assez content de ma progression. Par exemple, mon avant-dernière journée et ses 4800m de D+ est ma seconde plus grosse journée en D+ jamais faite et la première en mode bikepacking. Comme je ne me sentais pas au top de ma forme, je suis plutôt satisfait : il semble que j’ai quand même suffisamment progressé pour pouvoir faire de grosses journées comme celle-ci même après une semaine de vélo. À titre de comparaison, en novembre dernier je pouvais enchaîner au maximum 3 journées à 3000m de D+ avant de m’effondrer (et encore, la 3ème était souvent plus courte). En terme de rythme, je sais maintenant que ma vitesse ascensionnelle de croisière est d’environ 650m/h. Ce n’est clairement pas énorme mais c’est ce qui me permet d’enchaîner les efforts. Cette donnée me sera utile pour préparer un autre projet au mois de juillet… 😀
Je posterai une liste rapidement avec les commentaires qui vont bien.