Le propriétaire de l’hostel où Jo et moi restons confirme qu’à ses yeux nous avons bien fait de faire ce détour, mais qu’il conseille de le faire dans l’autre sens. Comme souvent en Patagonie, c’est une histoire de vent : maintenant il faut longer le lac pendant plus de 100km sur une mauvaise piste pour rejoindre la Carretera Austral, et le vent est contre nous. Jo décide donc de prendre un ferry qui permet de traverser le lac, tandis que je vais continuer sur la route. Elle aura plusieurs jours d’avance sur moi, mais comme elle souhaite faire quelques visites je peux la rattraper si je fais de bonnes journées.
C’est donc seul que je quitte Chile Chico. La première montée, bien que raide, fait illusion car elle est abritée du vent. Après commencent les difficultés. Les petites montées sur du mauvais gravier s’enchaînent, et plusieurs fois je dois pousser le vélo simplement pour pouvoir passer les murs de vent qui marquent les fins de montée. Je lutte contre deux des Némésis du cyclistes : du vent dans la face et de la tôle ondulée sous les roues. C’est difficile, démotivant et je désespère de pouvoir avancer. C’est tout juste si j’arrive à apprécier les paysages qui m’entourent ; pourtant, entre les fjords du lacs, les glaciers et les canyons encaissés, il y a de la matière à s’émerveiller. Je ne fais qu’une soixantaine de kilomètres (pour 2000m de D+) avant de m’effondrer au bord de la route. Vitesse moyenne du jour : 10km/h. Plusieurs jours comme ça et la déprime guetterait.
Le vent tombe durant la nuit, et je pars de bonne heure pour profiter de la tranquilité. Je vais beaucoup plus vite que la veille, d’autant que la route s’améliore progressivement. Pour ne rien gâcher, je passe par un village où je m’achète de quoi faire des sandwichs remonte-moral (le plus efficace pour ça est malheureusement le Nutella, dont j’essaie de limiter la consommation). Alors certes je mange un peu plus qu’il ne le faudrait, mais une fois reparti je ne prends plus de grosse pause. En échange, j’accumule les petites arrêts une fois revenu sur la Carretera Austral afin d’échanger quelques mots avec les nombreux cyclistes que je croise. C’est comme ça que j’arrive vers 16h à Puerto Rico Tranquillo. Juste avant de rentrer dans le village, je croise un couple de cyclistes français dont j’avais fait connaissance quelques 500km plus au sud, et ils m’indiquent qu’ils campent dans le jardin d’un gars qui invite tous les cyclistes qu’il croise. Sur leur conseil, je vais donc traîner en ville jusqu’à ce qu’il m’aborde. J’ai un désavantage certain vu que je ne parle toujours pas un mot d’espagnol, mais j’ai une botte secrète : des sandwichs au Nutella. Oui, j’avais dit que je limitais le Nutella mais j’ai craqué… Et après avoir goûté ça (il ne connaissait pas, le pauvre), il m’invite. En plus, c’est soir de fête !
En allant me coucher vers 1h, je suis le premier à quitter la soirée (ils n’avaient pas encore mangé…). Mais le réveil est tout de même difficile, d’autant qu’une longue journée m’attend. Cependant, la route est fermée sur 15km pour travaux l’après midi de 13h à 17h un peu plus loin, donc je ne peux pas partir trop tôt sous peine de devoir attendre la réouverture. C’est donc finalement vers 10h que je quitte le village, pour une journée qui s’annonce longue mais pas trop compliquée. Je calcule mon timing pour arriver à la section fermée juste à sa réouverture, pour ne pas avoir à attendre, mais je me plante : ce que je pensais être le début de la section est en fait la fin, donc j’arrive une heure trop tôt. Youhou, j’ai droit à une super longue pause sans mauvaise conscience !
Je franchis les travaux sans me faire écraser par un camion (ce qui n’était pas gagné) et continue mon bonhomme de chemin. 14km avant ma destination, je suis gratifié d’un beau cadeau : la piste se transforme en une belle route goudronnée, du genre billard qui t’entraine sans forcer. J’aime bien les pistes, l’impression d’aventure et d’exploration qu’elles dégagent, mais il faut reconnaître qu’après 500km à me faire secouer dans tous les sens ça commençait presque à être lassant. En un brin de temps j’arrive à Cerro Castillo, où je vais au camping retrouver Jo, Gregor, et faire la connaissance d’autres cyclistes. Je mange avec eux avant de repartir camper plus loin. Le temps de trouver un coin tranquille et de monter mon camp et il est 22h, l’heure du dodo. Longue journée…
Je retrouve Jo au camping, et nous partons ensemble à l’assaut d’un beau col. Sur le papier il faisait un peu peur, mais comme il est goudronné et la pente modérée, il s’avère en réalité assez facile. En chemin nous rattrapons Gregor, qui a plus de mal. Mais il est tout excusé : à la base c’est un backpacker, mais il a tellement entendu les cyclistes raconter leurs aventures qu’il a acheté un vélo à Cochrane. Sa monture est peu adaptée, son chargement obscenement lourd et mal équilibré, et il n’a pas les quelques milliers de kilomètres d’entraînement que nous avons. Nous échangeons nos vélos pour quelques kilomètres, et il revit. Jo et moi le laissons finalement à ses tourments et terminons à bon rythme le col.
Après plusieurs autres petites montées, nous avons droit à une bonne descente jusqu’aux environs de Coyhaique, notre objectif pour Noël. Une descente, du goudron… La vie est belle, n’est-ce pas ? Sauf que le vent refait son apparition, et nous cloue sur place. Nous peinons à atteindre 20km/h sur une route qui pourtant nous invite à aller bien plus vite, et notre bonne humeur s’envole un peu plus à chaque rafale. C’est fatigués et déprimés que nous décidons de poser le camp à 7km de Coyhaique (pour économiser une nuit à l’hostel). Nous peinons à trouver un coin tranquille, et nous finissons par jouer à Ninja Warrior avec nos vélo autour de mares de boue pour atteindre un endroit plat et discret. Il nous suffit de manger pour retrouver un peu de joie et de – presque – rigoler de cette journée faite littéralement de hauts et de bas.
Nous n’avons qu’une petite dizaine de kilomètres à faire jusqu’à la ville. Une formalité donc, mais nous partons assez tôt car le déluge est prévu pour le milieu de la matinée. Chris nous a indiqué dans quel hostel il était, et nous louvoyons entre les chiens excités dans la ville endormie jusqu’à arriver à destination. La programme des prochains jours est délicieusement simple : ping-pong, crêpes, barbecues, et Noël. Ce seront 4 jours de repos et de fêtes, une belle récompense pour les 2500km déjà parcourus.