Une nuit dans un vrai lit, ça change tout – et ça rend le départ plus difficile. Killian et moi décidons de partir ensemble, car nos premiers 20km sont communs. En effet, nous suivons la route 3 à travers les prémices de la pampa en direction du nord. Nous nous séparons lorsque mon itinéraire bifurque sur une piste, après une dernière photo. Je suis ravi de quitter la route : c’est trop monotone et ennuyeux à mon goût. La piste qui serpente entre les petites collines est beaucoup plus agréable à suivre, même si le vent rend parfois la progression compliqué. Mais finalement je suis chanceux : j’arrive à conserver une moyenne honorable, alors que plus tard Killian (qui n’est pourtant pas le dernier des cyclistes) me dira que sa vitesse plafonnait à 10km/h sur la route.
Lors de ma première pause une voiture s’arrête, et repart une fois que ses occupants m’ont fourni félicitations et eau. De la nourriture pour l’ego et pour le corps : quoi de mieux pour avancer ? Je croise aussi des cyclistes allant dans l’autre direction (les veinards), d’abord un couple de belge puis un brésilien. Je prends aussi mon goûter en compagnie d’un couple qui remonte la Patagonie… à pied. Finalement ce que je fais est vraiment facile. Moi qui m’attendait à la solitude, il n’en est rien (mais c’était un jour largement au dessus de la moyenne sur ce plan).
Je passe la nuit en forêt, protégé du vent. La piste est maintenant une vieille trace de jeep, mais c’est un sacré raccourci à travers les zones plus sauvages de la Terre de Feu. L’autre avantage, c’est qu’une fois revenu sur une piste de meilleure qualité j’ai l’impression de voler. C’est ainsi que je navigue dans les immensités désertes qui m’entourent jusqu’à arriver en fin de journée à la frontière avec le Chili.
C’est la frontière la plus perdue et désolée que j’ai pu voir jusqu’à maintenant (en comparaison d’une certaine autre plus tard, elle était finalement très bien). Je dois attendre le douanier, mais une fois qu’il est là les formalités sont vite expédiées. Du côté chilien, 10km plus loin, c’est un peu plus long car ils vérifient que je n’importe pas de fruits et légumes, mais je repars assez rapidement avec mes bidons d’eau remplis. Je campe plus loin, encore une fois dans la forêt.
Aujourd’hui je dois terminer de traverser l’île pour atteindre la mer. La piste est bonne, mais vallonnée et venteuse. À part quelques guanacos (lamas sauvages) et des paysages de plus en plus ouverts, il n’y a pas grand chose de notable. La longue descente vers la mer se fait finalement à vitesse réduite à cause du vent, mais ça y est, j’y suis ! Mais la Terre de Feu est loin d’être terminée pour moi : il reste 150km jusqu’au ferry.
Le petit village de Cameron n’offre pas grand chose, si ce n’est un bel abri (beau, mais peu pratique : ni chaises, ni table). Je suis obligé de toquer à une porte pour obtenir de l’eau, et il n’y a rien pour acheter à manger. Qu’à cela ne tienne, je savoure la soirée et le soleil couchant.
J’ai bien fait de profiter du soleil, car le lendemain est gris. Et venteux aussi (il faudrait que je compte le nombre de mentions que je fais du vent…), ce qui ne m’arrange pas car je fonce droit dedans. La majeure partie de la journée se fait donc à forcer sur du plat, ce qui n’est pas le plus amusant. Heureusement, le parcours de la journée forme une sorte de U géant autour d’une baie, donc l’après-midi se passe avec le vent dans le dos. Malgré la pluie de plus en plus forte, je vole à travers la pampa jusqu’à atteindre un Refugio providentiel, à 60km de Porvenir et du ferry. Je suis trempé, j’ai froid, mais je suis heureux.
Le ferry est à 13h et le vent est contre moi : je pars tôt. Le début est frisquet, surtout avec mes affaires trempées de la veille, mais le soleil est de plus en plus fort et me réchauffe progressivement. Encore mieux, grâce au vent qui ne faiblit pas je termine la journée sec.
La piste suit la côte en montant de temps en temps légèrement dans les terres. Le vent reste raisonnable et j’arrive largement en avance à Porvenir. Une fois le billet du ferry en poche, je me précipite au supermarché pour contenter mon ventre qui crie famine (le vélo creuse plus que la rando). J’y retrouve Killian, et finalement Fan nous rejoint sur le bateau. Nous profitons de la traversée tous les trois en comparant nos expériences de la Terre de Feu : je suis absolument ravi de mon parcours, qui permet de plus apprécier la diversité des paysages de l’île tout en souffrant un peu moins du vent.
À Punta Arenas, je décide de rester à un hostel et de prendre un jour de repos le lendemain. Enfin, ce jour de repos n’etait pas forcément prévu, mais comme je passe la soirée en compagnie d’autres voyageurs et de bières locales…