121mi/195km, 8 jours
Le ciel est couvert et il fait frais. Ce sont les meilleurs conditions pour retrouver la neige, non ? Alors en avant ! Voilà, je crois que j’ai résumé la journée. Nous avons tous du mal à avancer, donc nous ne faisons que 18km avant de poser le camp. Aller plus loin nous ferait monter sur une longue crète où nous avons peur de ne pas trouver de bons emplacements, et puis nous sommes contents de nous arrêter relativement tôt (c’est à dire vers 18h – on est encore une fois partis assez tard de Pagosa).
Avant de partir dans l’Utah, j’avais acheté un drap polaire pour compléter mon quilt. En effet, j’ai beau faire, j’ai très souvent froid la nuit, et les 800 prochains kilomètres sont au dessus de 3000m d’altitude. Certes ça ajoute 300g qui auraient été bien plus efficaces en duvet, mais je ne voulais pas changer mon quilt pour plus chaud (perte de polyvalence), donc je me suis méchament alourdi. Ceci étant dit, ça révolutionne mes nuits ! Enfin, après des dizaines de nuits sur un matelas percé, d’autres dizaines de nuits à avoir froid, je peux enfin dormir ! Enfin, je pourrais dormir si j’arrivais à m’acclimater. En effet, malgré la montée en altitude très progressive, je n’arrive toujours pas à bien dormir. C’est tout de même embêtant, surtout que les journées sont fatigantes bien que courtes (la neige rend tout de suite les choses plus compliquées).
Le lendemain nous montons sur la fameuse crête où, après quelques kilomètres, se trouve une jonction pour une variante : Creede Cut-off. Comme son nom l’indique, c’est un raccourci qui coupe la grande boucle que forment les San Juans. Mais vu qu’on rate la partie la plus belle des San Juans, c’est hors de question pour moi de la prendre. Casper, par contre, ne se sent pas de continuer encore et encore dans la neige, donc il préfère prendre le raccourci. Ce sont donc nos adieux, vu qu’il aura près d’une semaine d’avance sur moi. Dodgy et moi continuons donc ensemble, mais je le perds très rapidement vu qu’il n’est pas très rapide dans les montée. Larry Boy est quelque part devant nous, donc finalement je me retrouve seul. Heureusement, sur les crêtes le vent remplace la neige, avant une dernière portion complétement blanche. Je tente de passer par la crête, mais finalement elle ne me dit rien qui vaille (en fait ça passe en mettant un peu les mains d’après Larry Boy), donc je reviens sur mes pas et me lance dans de longues traversées de lacs de neige. Je m’enfonce régulièrement jusqu’à mi-cuisse, donc je vous laisse imaginer ma vitesse de progression. Prenez pas de raquettes qu’ils disaient ; il n’y a pas beaucoup de neige qu’ils disaient… (en vrai, les raquettes n’auraient pas valu le coup – pas cette année du moins). Je campe sur un îlot presque sec, à la belle étoile même si je sais qu’il va faire frais.
Après une belle nuit, je finis de traverser cette neige (mais le matin c’est bien, on ne s’enfonce pas) puis continue sur un système de crêtes sans trop de neige, sauf lorsqu’il y a des traversées à faire. La matinée est presque sèche, et j’essaie d’avancer vide pour arriver assez tôt à Knife Edge. C’est une crête qu’on traverse en contrebas et qui est considérée comme une des portions les plus difficiles ou dangereuses avec de la neige. Et en effet, ça craint. Je suis bien content d’avoir mon piolet (acheté à Pagosa et qui ne me servira que là). Je mets 1h pour faire environ 1,5km. Ceci, avec la fatigue qui s’accumule à cause de mes mauvaises nuits, fait que je continue à faire de courtes journées (environ 32km/jour). Lors d’une descente dans une petite vallée, le chemin fait un virage brusque, et de l’autre côté je me retrouve nez à nez avec… un ours. Un bel ours noir, bien gros comme il faut. Heureusement, il ne demande pas son reste (sinon on aurait dû récupérer mes restes) et il s’enfuit presto. J’arrive à prendre une photo de lui lorsqu’il traverse une clairière plus bas. Je suis content, j’ai vu un ours ! J’en suis si retourné que j’oublie mon téléphone (qui me sert pour les cartes, donc sans lequel je suis dans une belle panade) à la pause que je fais peu après. Même devoir faire demi-tour pour le récupérer n’attaque pas ma bonne humeur, et finalement remonte sur le plateau avant de pauser le camp. Il fait grand beau, mais pour essayer d’avoir une bonne nuit je pose l’abri.
Et au milieu de la nuit se déclare un orage de grêle. L’une des seule fois où je monte l’abri alors qu’il fait beau, la météo tourne complétement. Je suis quand même un mec chanceux, c’est fou. Mais la nuit est quand même difficile, et une fois n’est pas coutume je traine complétement le lendemain. Vers 8h, alors que mes affaires sont encore déballées et sèchent au soleil (qui est gentiment revenu), je vois un randonneur passer au loin sur le chemin. Vu qu’il était derrière moi et que ce n’est pas Dodgy, je ne pense pas le connaitre et je n’ose pas l’appeler. A la place, je remballe tout en vitesse et m’élance environ 10 minutes après son passage pour essayer de le rattraper. Au moins, j’ai une motivation pour aller vite ce matin.
Dans la montée, la distance nous séparant se réduit petit à petit, et je crois reconnaitre Larry Boy, qui est pourtant censé être devant moi. C’est bien lui, et nous nous retrouvons sur le plateau. Hier il a posé le campement un peu plus tôt que moi, et vu que j’étais pas loin derrière je l’ai doublé. Nous décidons de rester ensemble, surtout que la météo prévue pour le lendemain est franchement mauvaise. Mais en attendant, nous avons une belle journée qui s’annonce. Lorsque je lui annonce (tout content, photos à l’appui) que j’ai vu un ours la veille, il est vert : il était environ 1h devant moi et il ne l’a pas vu. Il a plus de 5000km de rando dans le territoire à ours à son actif, et il n’en a jamais croisé…
Nous campons ensemble à la limite des arbres et décidons de partir tôt le lendemain pour essayer d’avancer le plus possible avant le mauvais temps prévu en mi-journée. Au réveil, le ciel est bien bleu, mais au fur et à mesure qu’on avance il se couvre progressivement. D’après certaines cartes, d’anciens bâtiments miniers peuvent servir d’abri donc nous espérons les atteindre avant l’orage. Le dernier col est avalé en vitesse, mais à part quelques ondées neigeuse et une descente piégeuse dans la neige, rien à déclarer. Nous nous perdons mutuellement brièvement car je descends à fond dans la pente alors qu’il s’arrête mettre ses crampons (deux techniques, même résultat : on se gamelle). Finalement, nous atteignons la cabane qui offre un abri tout à fait décent et nous nous installons pour manger. Je suis complétement crevé, et donc je décide de m’arrêter là pour la journée (seulement 18km, mais je suis de plus en plus malade : perte d’appétit, mal de crâne, insomnies…), mais Larry Boy veut continuer. Enfin, il voulait continuer avant qu’il se mette à neiger. L’après-midi se passe lentement à comater dans mon duvet.
Malheureusement la nuit n’aura pas été bien meilleure, et donc même si la météo est superbe je décide de descendre dans la vallée. Avant ça nous parcourons ensemble quelques kilomètres sur le plateau avant d’arriver à un col avec une piste (réminiscence du trafic minier – il y a des mines partout dans le coin), puis nous nous séparons en espérant nous revoir le lendemain. Je descends le long de la piste jusqu’à 3000m, où je dois retirer les chaussures pour traverser une belle rivière. J’en profite pour manger, puis faire une sieste, et finalement je décide de m’arrêter là pour la journée. Encore une très courte journée, mais un très bon choix : je fais de longues siestes dans l’après-midi, et ma nuit est la meilleure depuis longtemps.
Le lendemain consiste à remonter longuement sur un joli sentier une autre vallée pour rejoindre le CDT près des crêtes. Aujourd’hui je me sens en forme (enfin !), donc une fois le sentier rejoins je le quitte aussitôt pour parcourir la crête et faire un petit sommet dont je n’ai plus le nom. Il n’a rien de remarquable, à part que c’est mon premier 4000. 🙂 Le reste de la journée se fait sans histoire et avec de jolies vues alors que les montagnes se font plus douces. Le ciel se voile progressivement, mais ce ne sont pas des nuages : c’est de la fumée d’un incendie dans le sud. Sur les cartes est indiquée la présence d’une yourte pour randonneur. Espérant qu’elle soit ouverte, je la rejoins : bonne idée. J’y passe une bonne soirée en compagnie de Hopefull, un autre randonneur que j’avais déjà croisé à Lordsburg – ça fait un moment. Larry Boy est passé ici dans l’après-midi, donc j’espère le voir demain à Lake City, qui n’est qu’à 14km.
J’ai donc mis plus de temps que prévu pour cette section. Heureusement, ce mal étrange qui m’a ralentit m’a aussi fait perdre mon appétit, donc j’ai largement assez de nourriture pour aller jusqu’à Lake City.
Après une nouvelle bonne nuit – cette descente dans la vallée m’a vraiment fait un bien fou -, Hopefull et moi partons ensemble pour le col d’où nous devons faire du stop pour Lake City. Nous discutons politique et implication citoyenne, et c’est toujours intéressant d’avoir le point de vue d’un américain pour mieux comprendre ce qu’il s’y passe. Au col, le trafic est minimal (la route relie Creede, 200 habitants, à Lake City, 300 habitants). Finalement nous demandons à un gars garé là s’il peut nous descendre. Il peut, mais il n’a qu’une place et il part dans une dizaine de minutes. Attentif à la réputation des français, je laisse Hopefull réserver la place. Une minute plus tard, une voiture s’arrête pour moi. Je serais à Lake City avant Hopefull, merci le karma. 🙂
A Lake City se trouve le premier hostel de la traversée (l’équivalent d’un gite d’étape, ou d’une auberge de jeunesse). J’y retrouve Larry Boy, qui est arrivé la veille mais qui a décidé de prendre un zéro. Ce soir nous ne sommes que tous les trois, et je décide de prendre un zéro le lendemain. Je suis toujours quelque peu fatigué par l’étrange maladie que j’ai eu (un problème d’acclimatation ? Étrange).
Le lendemain, plein de randonneurs arrivent. Entre notre semaine de pause à Pagosa et ma lenteur dans les San Juans, certaines personnes ayant commencé plusieurs jours après moi m’ont rattrapé, donc je rencontre de nombreuses nouvelles têtes. Parmi celles-ci, les plus notables sont Anchor, une suisse allemande dans un groupe de 6, et Iceman et Cattywampus, un couple qui s’est rencontré il y a 9 ans sur l’Appalachian Trail et qui finit là sa Triple Crown. Comme vous vous en doutez, je vais passer pas mal de temps avec eux (mais pas forcément tout de suite). Ma motivation baisse proportionnellement au nombre de personnes que je rencontre, et du coup je me retrouve à faire un double zéro. Deux jours de repos à la suite ? C’est une honte ! C’est pour les faibles ! Mais c’est tellement bon…
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26-05-2018
Retour dans la neige
On a déjà les pieds mouillés
Bonjour toi
Campement
27-05-2018
Aujourd’hui on parcourt les crêtes
On suit la crête et on monte en face
Point culminant du jour
Lacs de fonte
Dernières traversées du jour
Vue depuis le bivouac
28-05-2018
Petites congères
Finalement on ne marche pas toujours dans la neige
Knife Edge
Traversées lentes et pas rigolotes
Orage ou pas orage ?
J’ai vu un ours !
29-05-2018
A la poursuite de Larry Boy
Sur le plateau
Col pile sur la ligne de partage des eaux
Retrouvailles avec du balisage
Brèche
30-05-2018
Deux femelles wapitis
On retrouve un peu de granit
Panorama
On est content d’avoir trouvé un abri
31-05-2018
On a passé la nuit dans la cabane de droite
Vue sur les anciennes mines
Sur le plateau (3800m d’altitude)
Vue devant
Vue derrière
Finalement pas tant de neige cette année
Ancienne mine
01-06-2018
Retrouvailles avec le CDT
Petit passage en hors-sentier sur les crêtes
Premier 4000 !
Femelle wapiti
Ancienne mine
Qui a toqué chez moi ?
Premières traces de fumées de feux de forêt
02-06-2018
Hopefull avant le col
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