4 jours et demi, 85mi/135km
Quand, en 2011, je me suis lancé sur le chemin de Saint-Jacques, je ne voyais ce voyage – qu’on ne peut pas vraiment qualifier de randonnée – que comme une parenthèse entre deux années scolaires difficiles. Mais cette expérience m’a inoculé le virus de la marche, et 7 ans plus tard j’ai traversé les États-Unis à pied (dit comme ça c’est vachement classe).
Entre ces deux dates, j’ai fini mes études et effectué plusieurs randonnées, de plus en plus longues (traversée des Alpes), plus difficiles (traversée de l’Islande) ou plus lointaine (vélo au Japon). Ceci, cumulé à mes lectures de récits de voyage – en livre, sur internet, sur le forum – m’a poussé à me lancer un défi. Je savais que je pouvais marcher plusieurs jours ; étais-je capable de partir 5 ou 6 mois ? Les interrogations étaient nombreuses : 5000km, c’est long, et je n’étais certain ni de mon physique, ni de mon mental. Ce voyage était donc l’occasion pour moi de savoir où je pouvais placer mes limites, et jusqu’où mon mental pouvait m’emmener. Dès le début, je savais que, en dehors d’une vraie blessure, mon cerveau serait la clé de la réussite.
Et donc me voici, le 7 avril 2018 à 6h30, dans un gros 4×4 me transportant avec de nouveaux compagons vers Crazy Cook. Ce simple poteau en pierre est le monument représentant une des extrémités officielles du Continental Divide Trail, ce long chemin qui parcourt les États-Unis du nord au sud, le long de la ligne de partage des eaux entre l’Atlantique et le Pacifique. Partant de la frontière du Mexique, il traverse le Nouveau-Mexique, le Colorado, le Wyoming, et l’Idaho (brièvement) et le Montana, où il rejoint la frontière canadienne. Tout au long de ces 5000km, ce sont des déserts, des crètes, de hautes montagnes, et toute une diversité de paysages et de vues qu’on ne peut croiser qu’aux États-Unis. Plusieurs variantes, certaines officielles, d’autres plébiscitées par les randonneurs, permettent à chacun de se construire un itinéraire selon ses propres envies et contraintes. Ce chemin est encore souvent considéré comme sauvage, mais il gagne en popularité chaque année et la logistique devient de plus en plus facile. En 2018, entre 2 et 300 personnes se sont élancées.
Nous voilà arrivés à Crazy Cook. La frontière n’est qu’un mince barbelé symbolique, que je franchis rapidement pour aller fouler quelques instants le sol mexicain (et pisser). Pas encore de mur ici, mais les jours qui suivent je verrais régulièrement des voitures de Border Patrol, les agents des frontières qui doivent se demander qui sont ceux qui décident volontairement de venir marcher ici. Il faut dire que la région n’est pas des plus hospitalière. On n’est que début avril, mais les températures avoisinent déjà les 35°, et l’ombre est une denrée suffisamment rare pour rendre l’emport d’un parapluie/pare-soleil courant. L’eau pourrait être une préoccupation majeure, mais l’association liée au chemin a mis en place 5 caches d’eau sur les 130 premiers kilomètres. Ayant assez de capacité d’emport, j’évite pour le moment de partager l’eau des vaches. Pourquoi le chemin commence ici, alors que la ligne de partage des eaux est plusieurs kilomètres à l’est et le terrain si peu accueillant ? Simplement parce que les terres ici sont publiques. En voyant ces étendues écrasées par le soleil, on comprend vite pourquoi personne n’a jamais clamé possession de cette région.
Aujourd’hui était la première « grosse » journée de départ : nous sommes 9 à partir, ce qui est relativement beaucoup. La fenêtre pour commencer n’est que d’environ un gros mois : un départ trop tardif rend la traversée du désert trop difficiles et l’arrivée au Canada serait compromise par la neige ; un départ trop tôt, et c’est les neiges du Colorado qui peuvent arrêter le randonneur. Heureusement, cette année il y a eu très peu de neige au Colorado, donc nous sommes plutôt confiants et partons plus tôt que les années précédentes. Les malheurs des uns… L’objectif du jour pour tout le monde est d’atteindre au moins la première cache. Heureusement elle n’est qu’à 11mi/17km, donc malgré notre départ tardif (11h, après de multiples photos autour du monument), nous sommes plutôt confiant. De petits groupes se forme. La marche en solitaire ne sera pas pour aujourd’hui. L’excitation du premier jour nous donne des ailes, et nous sommes à la cache en milieu d’après-midi. Tout le monde y fait une grosse pause et s’agglutine autour des plus gros buissons, seuls protections contre le soleil et le vent.
Je décide de repartir seul et de suivre le tracé officiel, qui remonte inutilement sur le flan de la montagne. Une piste, plus courte et plus facile, reste dans la plaine, mais c’est le premier jour et je me sens encore une forme de fidélité envers l’itinéraire officiel. C’est donc pour moi l’occasion d’une première leçon : officiel ne veut pas dire mieux. Le chemin n’existe pas, et seuls des cairns et quelques poteaux indiquent où aller. De toute façon, la direction générale est facile à suivre. Mais le hors-sentier au milieu des cactus, buissons épineux et talwegs profondément taillés dans les flancs de la montagne par les crues de la mousson rendent la progression plus lente que ce que j’espérais. Je termine la journée au coucher du soleil, après 17mi/27km de marche. Comme pour la grande majorité des nuits à venir, je n’ai pas le courage de monter mon abri donc je dors à la belle-étoile. Cette expression prend tout son sens ici, et le vent violent qui se lève et me force à changer l’emplacement de mon camp me permet d’admirer à volonté la voûte céleste.
Les jours suivants se suivent et se ressemblent – déjà. Je marche majoritairement seul, tout en croisant très régulièrement, et le plus souvent aux caches, certains de ceux qui sont partis avec moi. Mes pieds me font déjà des misères : les quelques ampoules que j’ai (j’en compterai jusqu’à 11… simultanément) sont plus impressionnantes que douloureuses ; mais mes pieds sont aussi très, très fatigués très rapidement. Je suis forcé de prendre des pauses tous les 3 ou 4 kilomètres, ce qui est pour le moins frustrant. Dès les premiers pas le matin, mes pieds sont las comme s’ils avaient déjà fait 50km sans pause. Le chemin alterne entre hors-sentier, sente peut-être d’origine humaine mais plus probablement due aux vaches, et piste peu fréquenté à part par les Border Patrol. Tout le temps, je dois slalomer entre cactus et buisson et rester attentif. Quelques fois, je donne par inadvertance un coup de pied dans un cactus, et je dois ensuite retirer des épines de mes chaussures, parfois de mes pieds.
Mais si le désert se ressemble souvent à lui-même, je découvre aussi toutes ses petites nuances de couleurs. Lorsque le soleil est bas sur l’horizon, tout s’enflamme autour de moi et revêt de nouvelles teintes. L’horizon lointain rallonge les levers et couchers de soleil. Pour profiter au mieux de ces instants, et à cause des températures en journée, je commence mes journées avant que le soleil ne soit là. Et du fait de mes nombreuses et longues pauses durant la journée, ça ne me dérange pas de marcher jusqu’à ce que le soleil se couche. Entre temps, je croise des cactus en fleur, même si c’est un peu trop tôt, et quelques animaux : lézards, road runner, nombreux rapaces et oiseaux. Aucun serpent, scorpion ou araignée ne se montre, donc continuer mes nuits à la belle étoile ne me pose aucun souci. Durant la nuit, les coyotes sont de sortie. Je les entends hurler plus ou moins loin. Une fois je les entends en stéréo : ils semblent m’entourer, tout proches mais invisibles. Je suis fatigué, donc je mets mes écouteurs et m’endors sans autre pensée pour eux. De toute façon j’ai repéré une vache morte à 50m de mon bivouac, donc s’ils ont trop faim je ne serais pas la cible prioritaire.
La chaleur, le poids du sac (je porte jusqu’à 6 litres d’eau) et mes pieds font que les journées me paraissent longues. Je fais environ une trentaine de kilomètre quotidiennement afin de croiser au moins une cache d’eau par jour. Ceci correspond au planning que je m’étais imaginé. Ce n’est pas tant que ça au vu du dénivelé quasi nul, mais j’ai prévu une montée en puissance progressive. Plus tard sur le chemin, une journée à 30km sera presque une journée de repos, mais pour le moment tous les jours sont difficiles.
Il me faut donc 5 jours pour revenir à Lordsburg, la dernière journée était un « nearo » (pour « near 0 », soit « presque 0 ») de seulement 8km. Lordsburg, c’est là où tout le monde attend son départ pour Crazy Cook, puis c’est la première ville traversée. Petite bourgade qui a probablement vu des jours meilleurs (peut-être pas) devenue quartier général d’une horde de randonneurs sans autre raison que d’être là. Le paysage du désert semble plus joyeux que ses rues désolées Cependant, pour moi, Lordsburg est maintenant une oasis de fraîcheur et de repos après ces difficiles journées. À cause de mes pieds, je décide de carrément prendre une journée complète de repos (un « zero ») le lendemain. Qui veut aller loin ménage ses pieds : ça marche, je ne serais plus dérangé par cette fatigue immédiate. Une tempête de sable visible depuis notre hôtel fini de me convaincre du bien fondé de ma décision.
Je partage la chambre avec Symbiosis, rencontré les jours précédents et avec qui j’ai partagé quelques kilomètres. Il faut là que j’explique deux traditions des chemins de randonnées longue distance aux États-Unis. Premièrement, nous n’utilisons pas nos vrais prénoms mais nous avons des surnoms donnés par les autres randonneurs. Mon « trail name » était Grasshopper (« sauterelle »). À part pour les personnes avec qui on devient relativement proches, il est courant de ne connaître que ce surnom. Deuxièmement, il est très courant de partager les chambres d’hôtels entre marcheurs afin de limiter les coûts, même entre quasi inconnus. J’avais d’ailleurs déjà partagé ma chambre dans ce même hôtel avec un mec que j’avais rencontré à l’aéroport de Tucson. Plus tard, quand je marcherai avec un groupe plus important, nous partagerons des chambres jusqu’à 6. Imaginez l’odeur…
C’est aussi pour moi l’occasion de re-rencontrer Casper, un danois qui a commencé le même jour que moi. Il prend lui aussi un jour de repos, et nous décidons de repartir ensemble le lendemain. Je ne le sais pas encore, mais je me suis trouvé là mon partenaire principal pour les prochains 1400km.
[xyz-ihs snippet= »CDT-menu »]
07-04-2018
Le monument de Crazy Cook (et un superbe sac prêt pour 5 jours à travers le désert)
Le Canada ? C’est tout droit
Vous remarquerez l’ombre disponible
Les wash sont des torrents qui n’existent que pendant la mousson
Ceci n’est pas le chemin (même si j’ai cru que si)
Je remonte sur le flanc de la montagne pour la fin de la journée
08-04-2018
L’avantage du départ matinal
Ça y est je commence à avoir chaud
Hors sentier facile (quand il n’y a pas de mini-canyons ou de cactus
Je ne sais pas ce que c’est mais c’est joli
On traverse une route un peu déserte
Le sable dans les chaussures…
Les cactus ne sont pas encore en fleur
Un cactus
Un autre cactus
Ancien puits à vent
09-04-2018
Il est temps d’éteindre la frontale
Au moins il y a de l’ombre aujourd’hui
Premier « dénivelé » (ça va encore)
Tentative de pause à l’ombre
Longue journée de marche (mais beaucoup de pauses)
10-04-2018
La vue est sympa aussi la nuit
Il y a autant de relief que d’ombre
Journée la plus chaude jusque maintenant
Une mini-mesa
11-04-2018
Retour vers la civilisation
Oh un cactus !
12-04-2018
Journée de repos et tempête de sable qui arrive
[xyz-ihs snippet= »CDT-menu »]
30 septembre 2018
Merci Shanx,
J’ai été futé de te suivre tous les matins pour bigler sur tes zimages car si ton serveur a tout boulotté,GRRRRRRR………..
A+