133km, 12200m D+, 5 jours
Je traverse Morgex encore endormie alors que le ciel n’affiche que la promesse d’un beau soleil. Pour monter à Arpy, je peux prendre des chemins non balisés, mais je crains de me perdre. Je reste donc sur la route et m’enfile le dénivelé d’un bon pas. C’est pas si mal que ça, et y’a peu de passage.
Arpy est un ancien village minier, et au fond de son vallon je passe devant l’entrée de la mine. C’est impressionnant de se dire que là où je me balade dans une forêt bucolique, des gens se sont ruiné la santé et la vie pour des bouchées de pain… Je continue jusqu’au beau lac d’Arpy. Le ciel se voile progressivement, je pense que j’aurais de la pluie dans la journée.
Au col, un couple remet d’aplomb le panneau. En me voyant regarder d’un air interrogateur les directions, le mec me parle. En italien. Vite. À peine cliché. Mais au moins je peux mettre à profit ma connaissance de la langue : “No italiano”. Je ne sais pas si c’est l’accent, mais ça fait rire la femme qui s’exclame “Mais il est français !”. C’est un couple franco-italien, donc ils parlent très bien français. C’est bien ma chance, parce qu’ils m’apprennent que le chemin prévu (celui des traces de Bruno) n’est pas conseillé : long, chiant, orientation difficile et surtout dangereux (gros bloc et jamais de passage). Ils me conseillent un autre itinéraire, et montent avec moi jusqu’au col de la croix. Ma première rencontre en dehors de la Suisse, et je vois la différence…
Ensuite je suis un long sentier en balcon qui m’offre de belles vues. Je coupe à travers la pente pour rejoindre le lac du plan du glacier, et remonte vers les lacs de Bellacomba. Enfin ça, c’est la théorie, parce qu’entre les deux se trouve un torrent en furie. La femme m’avait parlé d’une passerelle, mais j’en ai déjà franchi une ; et elle m’avait parlé d’un gué… Bon, je perds un bon quart d’heure avant d’enlever les chaussures pour traverser. Puis un doute me traverse… Je remets les chaussures, je descends de… 30m, et je vois LA passerelle, la bonne. Bref.
Je remonte vers Bellacomba, qui porte bien son nom. Par contre, j’ai pas de carte pour atteindre le col du Tachuy et la frontière avec la France. Et le balisage est… italien. Après avoir demandé à toutes les personnes que je croise, je trouve la bonne sente et me dirige d’un bon pas vers la France, et vers la pluie. Au col, je croise un groupe de trois amis (amis entre eux, moi je les connais pas). Nous restons assez longtemps à discuter, ils sont admiratifs de ce que je fais. Nous redescendons ensembles, avec moi qui parle, parle et parle. Ça fait trois semaines que je ne parle pas, là j’en ai l’occasion alors je me lache. Au moment de nous quitter, et alors que les premières gouttes tombent, ils me donnent… à manger ! Des barres et surtout des pâtes de fruit. Je les garde pour la suite, mais je m’en lèche déjà les babines.
J’attends une accalmie à l’abri avant de poser mon bivouac. JE SUIS EN FRANCE. Dans ma tête, c’est un feu d’artifice. Mon cerveau fait une danse du ventre.
Quelques nuages sont encore là, mais j’ai confiance. Par contre, toujours pas de réseau. J’ai peur que mes parents s’inquiètent inutilement.
Je monte tranquillement le col de Montséti, en me retournant pour admirer les premières lueurs du soleil sur les montagnes. Mes pieds sont rapidement trempés par les hautes herbes. J’adore la sensation (hum hum). Après être redescendu, je passe devant le refuge de l’Archeboc. Comme j’ai un doute sur la suite de mon itinéraire, je m’y arrête et j’en profite pour y prendre un petit déj. C’est désert, il n’y a que la gardienne et son fils. Ils me renseignent sur la suite (en fait c’est balisé), sur l’enneigement, et me disent comment monter sur différents 3000 du secteur, au cas où je veuille faire un détour. En plus de ça, ils m’apprennent que les orages des jours précédents ont fait sauter le réseau SFR, ce qui explique que je n’ai pas de réseau. Gentiment, la gardienne me propose d’utiliser leur téléphone pour que j’appelle mes parents. 🙂
La montée vers le col de l’Argentière est donc balisée. Plutôt vaguement, mais bon, il suffit de monter tout droit donc l’orientation n’est pas trop difficile. Le col est magnifique, dommage que les nuages soient revenus en force et m’empêche de gravir la pointe de l’Archeboc (j’adore ce nom).
Descente tranquille en hors sentier et à l’azimut. Les nuages s’en vont un à un, et les premiers glaciers de la Vanoise me font face. De l’autre côté se trouve le Mont Pourri. Sympa la vue.
Je mange devant une petite retenue d’eau, avant de me lancer sur le sentier en balcon qui surplombe la vallée de Tignes. C’est long et fatiguant sous ce cagnard. J’hésite à m’engager sur la Grande Sassière ce soir, mais j’ai peur de ne pas trouver de spot, donc je ne prends pas de risque et continue jusqu’au parking du Saut, point de départ classique pour l’ascension. Au passage, je croise une bergerie et voit au loin l’impressionnant troupeau qui recouvre des flancs entiers de la montagne. Mine de rien, j’arrive assez tard et fatigué, ce qui est étonnant au vu du profil plutôt tranquille de l’étape.
J’engage la discussion avec un couple qui redescend des contreforts de la Grande Sassière et qui dort dans un fourgon aménagé sur le parking. Ce sont des montagnards purs jus (il est alpiniste), et nous discutons longuement. Ils me fournissent plein de renseignements pour la Vanoise, qu’ils connaissent bien, mais émettent des doutes sur mon équipement, notamment sur mes chaussures, surtout quand je leur dit que je veux faire la Grande Sassière le lendemain. Au final, ils m’offrent un repas complet : couscous, bière, fromage, pain et pêche. Leur gentillesse me touche.
Nous levons souvent les yeux sur l’imposante falaise et l’arrête qui mène au sommet. Demain, j’y serais !
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Réveil à 4h. Ça pique. Par coïncidence, c’est aussi une des nuits les plus froides de ma traversée : la condensation à gelé. Je ne suis encore qu’à 2000m, la suite promet. La sente est bien marquée, et je monte rapidement. Moins d’une heure plus tard, je suis rattrapé et doublé par deux mecs. C’est rare, des gens qui me doublent en montée. Eux font, à la louche, entre 700 et 800m de D+ à l’heure. Costauds.
Juste après, je les rejoins alors qu’ils finissent une pause. je leur demande si d’après eux le sommet est accessible sans neige. D’habitude, il faut attendre la mi-août pour que ce soit possible, mais cette année étant sans neige, j’ai bon espoir. Sauf que je me fais assez violemment prendre partie par le plus vieux, qui m’accuse d’être irresponsable car je n’ai pas de crampons. Il me parle de deux de ses amis qui seraient morts car pas assez équipés… Ok, ça me fait une belle jambe. Je pense qu’il est traumatisé par mes vieilles baskets trouées et mon petit sac. Je les laisse repartir devant.
Il s’avère que la montée est super simple. L’arrivée sur l’arrête, avec le glacier à quelques mètres et le lever de soleil sur la Vanoise est un moment fort. Par contre, il fait franchement frais (la terre est gelée) et un vent glacial me tient compagnie. Je remet la doudoune et progresse sur l’arrête. La montée finale, au dessus de 3500m, est raide. Du genre super raide. Je mets mes mains sur les rondelles des bâtons, mais j’ai quand même le dos droit (ou presque :p). On en voit pas la fin (littéralement), alors quand je débouche sur la plateforme sommitale c’est une belle surprise. Les deux repartent au même instant, ce qui me laisse le sommet pour moi tout seul. Étonnament, un bout est abrité du vent, j’y reste longtemps à me gaver les yeux. Je vois toutes les Alpes : Valais, Mont-Blanc, Vanoise… Jusqu’au Viso !
Je redescends alors que les suivants commencent à arriver. Durant la descente, je croise pas mal de monde, et je me félicite d’être parti si tôt. Au parking, je laisse un petit mot à mes bons samaritains de la veille, puis suis la cohue jusqu’au lac de la Sassière. Dans les environs du lac se trouvent de nombreuses Edelweiss, celles proches du chemin étant protégées par de petits cercles de pierre. Je mange au passage de Pichery, sous les doigts de la montagnes, avant de me lancer dans la raide descente vers Val d’Isère. Le coin est blindé d’Edelweiss. Avec la station de ski en contre-bas, ça fait un peu brochure publicitaire.
Je reste deux heures à Val d’Isère : recharge du tél à l’OT, courses, goûter (chocolaaaaaaaat). Je croise un guide, et lui demande des renseignements pour les crêtes que je voudrais faire. Ses réponses sont à peu près toujours les mêmes : “Je fais ça en hiver, pas en été. Appelez plutôt les refuges.”. Merci. Par contre, la météo pour le lendemain est franchement moyenne, donc ça m’embête pour justement faire ces crêtes. On verra bien.
Enfin, je reprends le GR5 pour monter au col de l’Iseran. Le chemin est pas folichon, au milieu des pistes, mais j’avance assez vite malgré le dénivelé déjà effectué aujourd’hui. Au final, ce sera une journée à presque 3000m de D+. Je me pose juste sous le col, contre une station de départ de télésiege qui me protège du vent. Les prises fonctionnent, j’en profite pour recharger rapidement les appareils.
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Le vent s’est encore aggravé durant la nuit. Et comme prévu, le temps est franchement maussage (euphémisme). Je décide donc de ne pas faire la crête, car de ce que j’en ai lu il vaut mieux que tout soit sec. Je m’octroie une grasse mat’, mais vers 8h du personnel des remontées passe prendre du matos. Je remballe tout vite fait et passe le col malgré le vent qui veut me faire farie demi-tour. De l’autre côté ça va mieux. Je passe au pont de la neige, et remonte le beau vallon de la Jave en direction du col des Fours. De là, j’enchaine la pointe des Fours, les pointes nord et sud de Bézin et la pointe de la Met. Quatre 3000 de plus, yay.
En redescendant de la pointe des Fours, je croise un groupe avec un accompagnateur en moyenne montagne. Le terrain est un poil délicat (très raide, pierrier de gravier/sable), il leur a installé une main courante. Ils regardent d’un air ahuri le débile qui les double en courant à moitié dans la pente.
Je suis rentré dans le parc de la Vanoise, ce qui veut dire que je n’ai plus le droit de bivouaquer. Je ronchonne, mais au fond je suis content d’avoir une bonne excuse d’aller dans un refuge, surtout avec ce temps. Je passe donc un coup de fil au refuge du col de la Vanoise. Cent places… mais sans place pour moi. Devant mon dépit, on me propose de venir quand même, en me disant qu’on me trouvera une place quelque part. Moi ça me va.
Je traverse donc sous la pointe de Méan Martin vers le col de la Rocheure. Malgré le mauvais temps, j’ai adoré tout ce secteur. La suite de la journée est inintéressante. Elle se fait en grande partie sur la piste, les nuages cachent le paysage et une pluie fine mais persistante m’accompagne jusqu’au refuge. J’arrive trempé dans le batiment bondé. J’y apprends qu’il y a eu un désistement, et je récupère la dernière place de libre.
Le refuge est cher, plein à craqué, il y fait trop chaud, mais au moins mes habits sèchent. En tout cas je ne conseille pas l’adresse, surtout que je les considère comme des arnaqueurs : ils interdisent le bivouac autour du refuge, alors qu’il y a largement la place.
La nuit n’a pas été très bonne : il faisait vraiment trop chaud. Je pars tôt dans le brouillard. Je veux aller jusqu’au dessus de Modane, donc une bonne journée m’attend.
Je dois passer par le célèbre lac des assiettes. Après un quart d’heure de marche, toujours pas vu. 20 minutes, 25 minutes… Pourtant, je suis sûr de moi. Le lac a disparu, bien aidé par le brouillard. Je continue. Bonne montée vers le col du grand Marchet, les nuages font mumuse avec les montagnes, c’est beau. Du col, je tire vers le col du petit Marchet, que j’atteins après quelques hésitations dans les pierriers. Le cirque du petit Marchet est fermée par une véritable muraille, c’est étonnant. La suite de la journée se fait sur le sentier du tour des glaciers de la Vanoise, il y a donc un peu de monde. Le passage au cirque du Génépi est absolument magique, avec ses glaciers et ses torrents.
Pour avancer un peu, et parce que le ciel se recouvre encore, je redescends sur le GR pour passer le col de Chavière. La montée est longue et sur piste, mais régulière. J’en profite pour faire tourner la machine, et j’avance assez vite. Après un passage dans le brouillard, je passe devant le refuge de l’Orgère et pose le bivouac un peu au dessous. Je suis juste au dessus de Modane. Ça fait plus de 700km que je marche, et j’arrive dans la partie que psychologiquement j’appelle “la fin”. Oui, il ne reste que 300km, autant dire que c’est bientôt la maison, non ?
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